Question d'Ozlem Ozen à Koen Geens, ministre de la Justice, sur les conséquences de l'annulation de sa réforme de la Cour d'Assises

Monsieur le président, monsieur le ministre, ce matin la presse s'inquiète des conséquences de l'arrêt d'annulation de la Cour constitutionnelle concernant la cour d'assises. Pour rappel, la haute juridiction a estimé que votre projet visant la quasi-suppression de la cour d'assises est tout simplement contraire à la Constitution. C'est évidemment une première gifle. Aujourd'hui, plus rien ne va au sein des tribunaux correctionnels. C'est le véritable casse-tête juridique, le flou le plus total. Les interprétations divergent et l'insécurité juridique règne.

 

Les chambres correctionnelles sont-elles encore compétentes pour juger des crimes ou doivent-elles renvoyer vers les juridictions d'instruction? En attendant que cette question cruciale soit tranchée, les 54e et 90e chambres correctionnelles de Bruxelles sont à l'arrêt. Les jugements ne sont pas rendus. D'autres juridictions devraient également suivre. Tout risque donc de fonctionner désormais au ralenti.

 

Pourtant, monsieur le ministre, ce n'est pas comme si vous n'aviez pas été prévenu. Comme vous le savez, lors des très longues discussions concernant le projet pot-pourri II, nous avons, à maintes reprises, attiré votre attention sur la manière dont cette cour d'assises avait été vidée toute substance de, sans passer par une véritable révision de la Constitution ni par un débat de fond.

 

Vous payez aujourd'hui votre refus, qui devient routinier, de ne pas écouter le Conseil d'État ni les experts et, passons, l'opposition. C'est une évidence!

 

C'est également le prix à payer pour défendre vos considérations purement budgétaires sur des droits et des dossiers aussi fondamentaux que la réforme des assises.

 

Depuis le vote de votre projet de loi, vous présentez sans cesse votre projet alternatif, preuve que vous saviez déjà que votre projet était bancal. À une question qui vous a été posée la semaine dernière, vous avez répondu que "l'avant-projet prévoit un jury populaire de quatre membres assistant trois magistrats du siège. Il inclut certains avantages de l'administration de la preuve de l'ancienne procédure. Ces chambres criminelles connaîtront aussi des délits politiques et de presse. Conformément à la Constitution, un appel sera possible." Vous semblez donc  tout à fait prêt à remettre de l'ordre dans cet imbroglio.

 

Monsieur le ministre, comment répondrez-vous aux inquiétudes des magistrats et des justiciables? Quelles conséquences juridiques tirez-vous de cette réforme? Qui sera désormais compétent pour le traitement des dossiers? Si les crimes déjà correctionnalisés doivent être, à l'avenir, jugés en assises, comment comptez-vous  éviter l'embouteillage que cela ne manquera pas d'engendrer devant les assises? Quand déposerez-vous votre nouvelle réforme au parlement? Pouvez-vous nous répondre de façon précise?

Réponse de Koen Geens

Madame Özen, l'arrêt de la Cour constitutionnelle du 21 décembre a annulé les articles de la loi pot-pourri II relatifs à la cour d'assises. Cette jurisprudence a un impact sur tous les crimes qui n'étaient pas correctionnalisables avant cette loi et qui pouvaient, grâce aux modifications de la loi pot-pourri II être correctionnalisés en évoquant des circonstances atténuantes.

 

Étant donné que la Cour constitutionnelle a décidé de maintenir les conséquences des dispositions annulées par rapport aux décisions prises sur cette base avant le 12 janvier (date de la publication de l'arrêt au Moniteur belge) le Collège des procureurs généraux a adopté la même position. Les affaires renvoyées devant une chambre correctionnelle, avec application des circonstances atténuantes, resteront traitées par une chambre correctionnelle. La peine que celle-ci pourra infliger sera au maximum de 30 ans.

 

En effet, selon les instructions envoyées par tous les procureurs généraux à tous les parquets: "Il n'est pas admissible que le tribunal correctionnel puisse prononcer une peine privative de liberté plus longue par rapport aux crimes relevant de la compétence de la cour d'assises avant l'entrée en vigueur de la loi du 5 février 2016 que celle que la cour d'assises pourrait prononcer même en invoquant des circonstances atténuantes à savoir, 20 ans pour les crimes passibles de 20 à 30 ans de réclusion et 30 ans pour les crimes passibles de la réclusion à perpétuité."

 

Cette peine maximale de 30 ans est également la solution avancée dans la presse par le professeur et avocat général près la Cour de cassation, M. Damien Vandermeersch. À partir du 12 janvier, les affaires criminelles seront également renvoyées devant la cour d'assises avec application des peines prévues avant la loi pot-pourri II. En son temps, j'ai envoyé mon avant-projet sur les chambres criminelles avec jury mixte, droit d'appel et procédure semi-ouverte pour avis au Conseil supérieur de la justice et au Collège des procureurs généraux et bientôt, je le présenterai au kern pour connaître l'attitude que prendra le gouvernement à cet égard.

Réplique d'Ozlem Ozen

Monsieur le ministre, je vous remercie pour votre réponse. L'arrêt ne fait cependant que reprendre les écueils que nous avions relevés lors du débat sur le projet de loi pot-pourri II. C'est révélateur de votre empressement, pour ne pas dire de votre entêtement, à vouloir absolument accoucher d'un projet qui était, tout simplement, contraire à la Constitution. Les effets en sont non négligeables en termes d'efficacité et de sécurité juridiques, tant pour le justiciable que pour la crédibilité de la Justice.

 

Voilà pour la première gifle! Vous savez aussi qu'il y a d'autres projets de réforme de procédures pénales qui vous attendent. Nous avons également des écueils des juges d'instruction qui, de nouveau, vous interpellent parce qu'ils ne sont pas associés au débat. Je me fais donc leur porte-voix ainsi que celui du ministère public. J'espère que, dans ce dossier, vous ne tendrez pas la joue pour ramasser une deuxième claque.