Question de Julie Fernandez Fernandez à Charles Michel, Premier ministre, sur l'expulsion de Soudanais et l'attitude de T. Francken

Monsieur le président, monsieur le premier ministre, chers collègues, la position de Theo Francken n'est pas sujette à discussion, ni aujourd'hui, ni demain, ni après-demain. Il a appliqué la loi. Voilà la seule véritable réponse politique que nous avons entendue depuis que nous avons appris, le 22 décembre 2017, que Theo Francken avait menti et qu'il vous avait amené à mentir au parlement et donc aux Belges.

 

Ce n'est pas vous qui donnez cette réponse politique mais bien le président de la N-VA. Qui est donc le véritable premier ministre en Belgique? Voici déjà ma première question.

 

Mes chers collègues, ne nous trompons pas! La question politique qui se pose depuis trois semaines n'est pas de savoir si le secrétaire d'État a menti - je pense que peu de personnes en doutent encore - ou s'il a encore sa place au gouvernement. La vraie question est de savoir qui assumera la responsabilité de cette politique, la responsabilité de cette collaboration avec le Soudan qui a peut-être conduit des hommes vers la torture.

 

Au milieu des mensonges, des demi-vérités, du mépris du parlement, il y a toutefois une vérité dont vous ne parlez jamais, monsieur le premier ministre, l'arrêt de la cour d'appel qui constate la violation par la Belgique de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui pointe des responsabilités de l'Office des Étrangers et de M. Francken.

 

Le 21 décembre, vous nous annonciez avec bruit une enquête qui déterminerait les responsabilités dans ce dossier. Où en est cette enquête qui, selon vous, devrait donner ses premiers résultats fin janvier et qui, selon d'autres sources, n'a pas encore débuté?

 

Même si mes espoirs sont faibles de voir une responsabilité politique assumée, puisque Bart De Wever l'a dit: "Si Theo s'en va, je débranche la prise!", quels sont exactement les pourtours de cette mission? Qui va la mener? Quelqu'un s'est-il rendu sur place, comme nous l'avait également annoncé le secrétaire d'État?

Réponse de Charles Michel

Monsieur le président, chers collègues, plusieurs d'entre vous l'ont dit, tant dans la majorité que dans l'opposition: les politiques d'asile et de migration exigent effectivement de la nuance, de la responsabilité. Nous avons été confrontés, au mois d'août, à une situation difficile au cœur de Bruxelles, comme conséquence du démantèlement par les Français de la jungle de Calais. Celle-ci constituait, depuis de très nombreuses années, une problématique pour ce pays avec plus de 10 000 individus, pour une grande majorité non identifiés, présents sur ce site.

L'été dernier, nous avons été confrontés à cette situation difficile et nous avons opté pour une approche multidisciplinaire. Nous avons ainsi collaboré avec les ministres de la Justice et de la Santé publique, et avec les autorités locales et la Région bruxelloise.

 

Nous avons tenté, jour après jour, durant le mois d'août, de prendre des mesures. En effet, nous ne voulions pas voir se développer une zone de non-droit, dans laquelle évolueraient des personnes non identifiées. C'est une question d'ordre public et de responsabilité d'un gouvernement et d'une autorité. Nous avons constaté, en effet, que certaines personnes décidaient de ne pas introduire de demande d'asile et de ne pas être en situation légale. Elles avaient le droit, bien entendu, sur la base de règles nationales et internationales, d'introduire ou non une telle demande. Des personnes qui se disaient ressortissantes soudanaises étaient dans cette situation. 

 

Je m'en suis déjà expliqué et je le répète ici pour la transparence et pour que l'on me comprenne bien. C'est dans ce cadre-là qu'il a été décidé qu'une mission d'identification serait menée durant onze jours. À la suite de celle-ci, neuf décisions de renvoi ont été prises à propos de neuf Soudanais.

 

Au sujet de cette mission d'identification, j'entends les leçons de morale et de bonne conscience. Mais personne ne dictera à ma conscience ce qu'elle doit faire en la matière. Bien que peu l'aient dit, dans l'opposition, ce que je regrette, j'observe que…

Des pays tels que la France, la Grande-Bretagne, l'Italie ou la Norvège ont choisi la même approche. Pour mener une politique de retour dans le cadre de l'Union européenne, il nous faut trouver une forme de coopération.

 

C'est donc effectivement un point que beaucoup ont omis de mettre en évidence. Il n'y a pas, contrairement à ce que certains tentent de faire croire, une extravagance, une exception, une méthode différente au départ du gouvernement belge s'agissant de ce point-là et – je le répète – pour une mission déterminée durant un nombre de jours bien précis. Examinons quelques points complémentaires à ce sujet!

Le 21 décembre, à la suite des informations publiées par Het Laatste Nieuws faisant état de possibles faits graves, j'ai fourni toutes les explications au Parlement.

 

Il s'agissait effectivement de faits sérieux qui étaient allégués par un institut: l'Institut Tahrir. Je n'ai pas connaissance, en tout cas à ce stade, d'autres ONG ou d'agences des Nations unies qui ont révélé les faits de cette manière sur la base des individus qui étaient concernés.

 

Immédiatement, compte tenu de la gravité des allégations qui ont été exprimées et que nous avons prises au sérieux, le principe d'une enquête a été décidé et confirmé par le kern – monsieur Dallemagne, je vous réponds précisément sur ce sujet-là. En effet, nous avons, dès le vendredi 22 décembre, chargé le ministre de l'Intérieur de communiquer au CGRA notre souhait de lancer une enquête indépendante.

 

Le CGRA, sur la base de la loi, est une autorité indépendante. Nous ne voulons évidemment pas nous immiscer dans la manière dont le CGRA va mener cette enquête. Sinon, on nous le reprocherait, bien entendu.

À l'initiative du gouvernement, le ministre Jambon a demandé que le CGRA propose une forme de coopération avec la Commission européenne et les Nations Unies. Nous ne savons pas comment ces organisations réagiront à cette proposition. Nous espérons toutefois obtenir les résultats de l'enquête indépendante pour fin janvier, de préférence.

 

Je ne redoute pas la transparence par rapport à la manière dont le droit international et européen a été appliqué. Ce Parlement et le gouvernement ont pris le ferme engagement de respecter le droit tant national qu'européen et international.

 

Monsieur Maingain, vous nous faites des leçons de droit international sur le sujet. Je les écoute avec attention. Vous savez, comme moi, que l'État de droit, que l'application du droit ne relèvent pas des sciences mathématiques. Ce n'est pas une science exacte. C'est une science humaine avec des femmes et des hommes de bonne foi et de bonne volonté à l'Office des étrangers, au CGRA, dans les cours et tribunaux, lesquels doivent statuer sur des dossiers individuels au cas par cas. Je répète que c'est dans ce cadre…

M. Dewael considère à juste titre que l'article 3 est un point crucial.

 

C'est dans ce cadre que l'Office des étrangers est chargé d'appliquer l'article 3 et c'est également dans ce cadre que j'espère que l'enquête permettra de démontrer comment l'ensemble du droit, y compris l'article 3, a été appliqué dans ce cas d'espèce. M. Dewael met le doigt sur un point central. Je suis curieux de savoir – je n'ai pas encore reçu de réponse – de quelle manière l'article 3 est appliqué dans les pays qui nous entourent, selon quels critères, quels facteurs. Je crois que l'on peut parler là d'un enjeu européen.

Ces derniers mois, nous avons défendu à l'échelon européen une réforme des accords de Dublin. Œuvrer à une application harmonisée du droit européen me semble la bonne méthode.

L'article 3 étant un principe crucial, je souhaite amorcer avec force le débat à ce sujet au sein de l'Europe.

 

J'ai également constaté le grand émoi suscité par la note d'octobre du Haut Commissariat pour les réfugiés alors que cette note démontre précisément que les services visaient une approche au cas par cas.

 

Cette note du mois d'octobre a été présentée de manière tronquée dans un certain nombre de commentaires qui ont été exprimés. Le CGRA - organe dont l'indépendance est garantie par la loi votée au parlement – y démontre que, dans un certain nombre de provinces, accorder la protection subsidiaire est nécessaire mais aussi qu'elle n'est pas automatique - de mémoire dans 11 provinces sur 18. Par contre, le CGRA mentionne également des catégories de population susceptibles de subir des traitements inacceptables. Cette note du CGRA est une pièce supplémentaire pour permettre aux instances d'appliquer avec la nuance nécessaire, au cas par cas, dans la fermeté et l'humanité, les principes de l'État de droit.

 

L'enquête devra démontrer, expliquer ou informer si cette note a été prise en compte correctement ou non en ce qui concerne les différents cas auxquels nous avons été confrontés.

 

En outre, j'entends bien un certain nombre de caricatures ou d'outrances qui envahissent le débat. C'est la raison pour laquelle, j'appelle solennellement chacun à faire preuve de nuance et de responsabilité, dans ce genre de dossiers aussi délicats et sensibles parce que des vies d'hommes et de femmes sont en jeu.

Nous avons apporté une preuve de notre humanité en octroyant des visas humanitaires et des reconnaissances, montrant par là que nous menions une politique très nuancée.

 

Je suis totalement déterminé à faire preuve d'une combativité inflexible et je mènerai une politique qui protège les frontières européennes. Je combattrai pour une politique qui ne permet pas à une jungle de Calais belge de se développer. Je suis totalement déterminé à faire respecter les droits de l'homme, les conventions européennes et internationales.

 

Je ne redoute pas les conclusions de l'enquête, dont nous devrons tirer des appréciations politiques en connaissance de cause. Je ne souscris pas au procès à l'emporte-pièce que certains veulent mener, une attitude que je n'apprécie pas. Quand l'enquête sera réalisée, nous reviendrons le moment venu, au parlement, présenter celle-ci et les conséquences politiques que nous en tirerons, en toute transparence.

 

Je partage le raisonnement selon lequel l'enjeu de la migration et de la politique d'asile nécessite une action et une communication nuancées.

Réplique de Julie Fernandez Fernandez

Monsieur le premier ministre, je le disais tout à l'heure, il y a deux constantes dans vos silences. D'abord, cela a été rappelé, ni dans vos interviews ni dans vos interventions ici ni sur vos posts Facebook, pas un mot pour cette mobilisation citoyenne qui fait qu'aujourd'hui, Bruxelles n'est pas la jungle de l'indignité. Ensuite, jamais vous ne parlez des condamnations qui ont eu lieu! Cinq en une semaine qui déclarent illégal le fait que des Soudanais soient détenus parce qu'on n'a pas examiné leur dossier correctement au regard de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme.

 

Monsieur le premier ministre, défendre les droits de l'homme, garantir les principes fondamentaux, garantir le respect de la loi et des règles démocratiques, ce n'est pas du laxisme! Ce n'est pas uniquement un principe de la gauche mais celui de tous les démocrates! Vous avez décidé de vous en éloigner pour quelques miettes de pouvoir venues d'Anvers! Vous êtes l'otage de la N-VA! Effectivement, vous avez le syndrome de Stockholm: non seulement vous dansez comme elle siffle, mais vous couvrez son indignité, sa politique et le cynisme de son secrétaire d'État!

 

On a la preuve de votre libéralisme pour l'humanité dans toute sa splendeur aujourd'hui! Je crains que, quelle que soit l'enquête et quels qu'en soient les résultats, quelle que soit la mobilisation citoyenne, quelles que soient les décisions de justice, il n'y aura pas de responsabilité politique - nous le verrons d'ailleurs tout à l'heure -, parce qu'Anvers l'a décidé.

 

Monsieur le premier ministre, en quelques mois, vous avez fait perdre sa grandeur à cette fonction, donnée par vos prédécesseurs.

 

Mais où est votre responsabilité? Où est votre dignité? Où est le premier ministre, monsieur Michel?