Question de Julie Fernandez-Fernandez à Charles Michel, Premier ministre, sur la collaboration de T. Francken avec le Soudan

Monsieur le président, messieurs les ministres, chers collègues, permettez-moi de commencer par citer un historien belge de renom qui, hier, par ses mots justes a rencontré ma colère et mon indignation. Hervé Hasquin a exprimé ce que j'espère tous les démocrates de cette Assemblée pensent tout bas, même s'ils n'osent pas l'exprimer tout haut. Je le cite: "Rapatrier des réfugiés vers une dictature sanglante, cela me fait penser au régime de Vichy. Cela doit nous inciter à la plus grande vigilance. Il faut se souvenir de ce qui peut arriver à des êtres humains lorsqu'ils sont renvoyés dans des régimes méprisables."

 

Oui, notre pays collabore aujourd'hui, grâce à M. Francken, avec un pays dont le chef d'État est un dictateur accusé par la Cour pénale internationale de génocide et de crimes de guerre contre l'humanité. On collabore pour screener des femmes et des hommes qui ont fui cette dictature. Et pour quoi faire? Pour mieux les accueillir nous dit-on. Je dirais que c'est pour mieux les cueillir à leur retour.

 

Mesdames et messieurs du gouvernement, monsieur le président, chers collègues, Théo Francken n'a plus la dignité ni la responsabilité nécessaire à un homme politique. Il a abandonné délibérément la situation sur le terrain. Il l'a laissée se détériorer pour pouvoir dire après qu'il fallait nettoyer. "Nettoyer", comme si des êtres humains, ces femmes et ces hommes en désespérance, étaient des déchets!

 

On va encore plus loin. On collabore - et je pèse mes mots - avec un pays dont le président est un génocidaire.

 

Je le sais: la situation actuelle est extrêmement compliquée. Nous n'avons pas connu chez nous ni en Europe un tel afflux de réfugiés depuis longtemps. Nous devons faire face à cette situation et il faut faire face avec dignité et responsabilité, sans angélisme bien sûr mais sans diabolisation non plus. Toujours en respectant l'humanité! Toujours en respectant chaque être humain, en examinant, dans le respect des règles de droit et de manière individuelle, les demandes, en les acceptant ou en les refusant mais dans le respect des conventions internationales. Ici, on fait appel à des fonctionnaires d'une dictature. Certaines ONG parlent même de membres des services secrets. C'est indigne! C'est indigne d'une démocratie! C'est indigne d'un État de droit!

 

Soutenez-vous la décision de collaborer avec le Soudan pour examiner la situation des Soudanais ayant fui leur pays? Cette décision a-t-elle été prise par l'ensemble du gouvernement? Les Affaires étrangères ont-elles été associées? Les services de renseignement belges ont-ils été impliqués dans la procédure mise en place? Est-il exact qu'ils se sont assurés que les services secrets soudanais n'étaient pas présents dans la délégation reçue par M. Francken? Dans l'affirmative, quand l'ont-ils été?

 

Qu'est-ce qui a permis cette négociation avec un dictateur alors qu'il y a à peine six mois, M. Francken lui-même expliquait que c'était précisément ce qui rendait impossible le renvoi d'illégaux en provenance du Soudan.

Réponse de Jan Jambon

Je l'ai déjà répété à plusieurs reprises dans cet hémicycle: ni le gouvernement ni moi-même ne

tolérerons jamais le développement en Belgique d'une "jungle de Calais".

 

Un groupe de migrants en situation illégale s'est installé dans le parc Maximilien, près de la gare du Nord à Bruxelles. Leur objectif étant de rejoindre le Royaume-Uni, ils n'ont pas introduit de demande d'asile en Belgique et ne bénéficient donc pas d'accompagnement.

 

Avec une approche intégrale et multidisciplinaire, le gouvernement a mené des actions d'information et de prévention et veillé au maintien de l'ordre public.

 

La situation dans le parc et aux alentours est surveillée quotidiennement. Les mesures et la gestion évoluent au gré des circonstances.

 

Fedasil et l'Office des Étrangers se sont rendus sur le terrain pour informer ces personnes de la possibilité d'introduire une demande d'asile ou de profiter d'une procédure de retour volontaire, ainsi que de l'éventualité d'un retour forcé en cas de séjour illégal.

 

Entre le mois de juin et aujourd'hui, 645 personnes ont été interceptées à l'intérieur et aux abords du parc. Les opérations policières ont connu leur apogée au mois de septembre. Elles ont permis l'interception de 267 personnes en séjour illégal; 134 d'entre elles ont été transférées vers un centre fermé et Fedasil a accueilli 59 mineurs non accompagnés.

 

La police judiciaire fédérale (PJF) participe aussi activement à la gestion de la situation. Elle se concentre en particulier sur la lutte contre le réseau de trafiquants d'êtres humains, responsable de l'arrivée à Bruxelles de ces réfugiés qui y attendent un passage vers le Royaume-Uni. Si nous persévérons dans la lutte résolue contre ces trafiquants et si nous réussissons à démanteler le réseau, l'essentiel du problème sera réglé. La protection du secret de l'instruction ne m'autorise pas à vous fournir davantage de détails sur les opérations de la PJF.

 

À la suite des différentes opérations policières déployées dans le parc Maximilien et à la gare de Bruxelles-Nord, 103 ressortissants soudanais séjournent actuellement dans les différents centres fermés pour étrangers en séjour illégal. Dès leur arrivée en Belgique, il leur a toujours été loisible d'introduire une demande d'asile.

 

Vu les difficultés d'identification des personnes d'origine soudanaise et l'impossibilité d'effectuer un retour forcé sans identification, il a été décidé de prendre contact avec l'ambassade du Soudan.

 

Il est crucial, surtout dans le contexte actuel, que nous retrouvions l'identité des personnes présentes sur notre territoire. À la suite de deux entrevues entre le secrétaire d'État, M. Francken, et l'ambassadeur soudanais en Belgique, il a été décidé d'autoriser une mission d'identification. L'OE recourt fréquemment à des missions d'identification. Ainsi, des délégations ont notamment été envoyées du Sénégal, de Chine, de Guinée, d'Arménie et du Vietnam ces dernières années.

 

Cette pratique, qui n'est pas exceptionnelle, existe dans d'autres États membres. Ces dernières années, de nombreux pays européens ont exécuté des retours forcés vers le Soudan.

 

De plus, le Soudan est un pays partenaire important pour l’Union européenne en matière de gestion de l’immigration et il est aussi l’un des principaux bénéficiaires des subsides européens qui sont libérés à cet effet.

 

Les garanties procédurales sont respectées. Les personnes ont toujours la possibilité de demander l'asile ou d'introduire un recours contre leur éloignement.

 

L’opération se déroule dans le respect total du droit national, européen et international.

 

Dans sa décision, l'Office des Étrangers évalue le risque que représente l'éloignement et prend en compte l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme. Le gouvernement continue à consacrer une attention particulière aux personnes vulnérables. Les étrangers mineurs non accompagnés sont accueillis dans un centre d'observation et d'orientation. Le service des Tutelles du SPF Justice est associé aux actions.

 

Le gouvernement au grand complet et moi-même nous rangeons comme un seul homme derrière la politique de notre secrétaire d'État.

Réplique de Julie Fernandez-Fernandez

Monsieur le président, chers collègues, messieurs les membres du gouvernement, ce qui est dégoûtant, c'est la xénophobie, le racisme, les dictatures sanguinaires, c'est de collaborer avec des dictatures. C'est cela qui est dégoûtant! Ce n'est pas la résistance qui est dégoûtante. Même si elle s'exprime de façon inappropriée et inopportune, la résistance n'est jamais dégoûtante.

 

En montant tout à l'heure à cette tribune, j'étais animée par l'indignation des actes d'un membre du gouvernement. Mais j'étais aussi animée par cette flamme qui brûle en moi pour cette assemblée composée majoritairement de démocrates et de gens qui croient aux fondements de notre démocratie.

 

 

 

Je suis atterrée par certains propos. Je suis atterrée par certaines attitudes. Par votre silence, vous êtes complices de ceux qui, semaine après semaine, s'essuient les pieds sur notre démocratie. Prouvez-nous le contraire, écartez M. Francken de ce gouvernement et redonnez de la dignité à notre État de droit!