Question de Stéphane Crusnière à Didier Reynders, ministre des Affaires étrangères, sur la situation au Kivu (RDC)

Monsieur le ministre, nous le savons, semaine après semaine, la RDC s’enfonce dans une crise politique mais également sécuritaire très inquiétante, une situation qui, malheureusement, tend fortement nos relations diplomatiques et militaires avec ce pays partenaire de notre coopération au développement, un pays central dans cette région prioritaire pour notre diplomatie. Depuis plus de vingt ans, des groupes armés nationaux et étrangers pullulent dans l’Est de la RDC. Les premières victimes en sont évidemment, encore une fois, les civils.

 

Hier, le gouverneur de la province agitée du Nord-Kivu a alerté l’armée congolaise sur la multiplication d’attaques de miliciens qu’il considère comme le prélude d’une nouvelle guerre dans l’Est de la RDC. J’aimerais dès lors, monsieur le ministre, vous poser quelques questions.

 

Vos informations confirment-elles le risque d’une nouvelle guerre dans l’Est congolais, pour reprendre les termes du gouverneur Julien Paluku? Comment les diplomaties - belge et européenne - suivent-elles cette situation? Quel est le rôle de la MONUSCO et des forces congolaises dans ce contexte? Quels sont les impacts sur la situation humanitaire? De nouveaux réfugiés sur les routes du Congo sont-ils à craindre?

 

Par ailleurs, dans ce contexte lourd, comment évoluent les relations diplomatiques et militaires entre nos deux pays? Qu’en est-il de la situation de nos ressortissants sur place? Combien sont-ils concernés? On connaît les problèmes "administratifs" que connaît la Défense belge ainsi que les problèmes "techniques" de nos C130. Quelles en sont les conséquences pour d’éventuels rapatriements?

Réponse de Didier Reynders

Monsieur Crusnière, nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer à plusieurs reprises en commission la situation au Congo et en particulier dans l’Est. Je voudrais ne pas reprendre exactement les mots du gouverneur de la province du Nord-Kivu, mais confirmer que la situation se dégrade et très fortement sur le plan sécuritaire à travers la présence de groupes armés, pas seulement dans le Kivu, mais également un certain nombre de démarches de plus en plus criminelles, en particulier dans les grandes villes. Pour citer quelques exemples - mais vous les connaissez, je ne vais pas les reprendre tous -, il y a eu une série d’évasions importantes, vous le savez, notamment à la prison de Béni (930 détenus), avec dès lors des incidents majeurs qui se sont succédé dans le grand Nord.

 

En réaction, il y a eu des opérations des forces armées congolaises (FARDC) mais également de la MONUSCO. Vous demandiez le rôle de celle-ci. Nous souhaitons qu'elle participe à des opérations contre ces groupes armés de manière plus active, et non qu'elle se limite à l'observation de la situation - constatant les atteintes aux droits civils d'un certain nombre de citoyens. La MONUSCO doit surtout prévenir cette situation et empêcher cette violence. Des incidents se sont produits à Butembo dans le territoire de Lubero. Je pense aussi aux actions criminelles telles que des enlèvements dans les grandes villes qui se multiplient. Dans ce cadre, le Kivu n'est pas la seule province qui nous inquiète; le Kasaï nous inquiète par sa situation et nous demandons une enquête internationale indépendante qui devrait progresser.

 

Je reviens de manière télégraphique à vos questions. Il est évident que la situation de violence est inquiétante et engendre des conséquences humanitaires sur des populations locales à plusieurs endroits. Nous tentons, avec la communauté internationale, d'intervenir sur ce plan. La MONUSCO, il est vrai, doit jouer un rôle plus actif.

 

La situation politique s'est évidemment dégradée. Les élections n'ont pas eu lieu l'année dernière et nous plaidons activement pour que des élections ait lieu cette année - l'UE a, à nouveau, pris des sanctions à l'égard d'un certain nombre de personnes -, qu'un calendrier soit clairement proposé avec un accès ouvert à l'opposition afin que l'espace public s"élargisse suffisamment. Ce sont les Accords de la Saint-Sylvestre en décembre qui devraient être respectés.

 

Je regrette la suspension de la coopération militaire décidée du côté congolais. C'est principalement dommageable pour les FARDC et aussi pour la population congolaise. J'espère qu'il y aura un retour à la collaboration et j'aurai, dans ces prochains jours, un contact en ce sens. Vous savez comme moi que, si nous retirons nos militaires et notre matériel, nous ne reviendrons pas du jour au lendemain.

 

Il n'y a pas de citoyen belge directement concerné pour l'instant mais nous restons en contact direct avec nos concitoyens qui, comme vous le savez, sont très prudents parce qu'ils ont l'habitude de ce type d'événement. Nous sommes aussi, sans aller plus loin, en contact avec nos partenaires pour toute mesure à prendre si la situation devait s'aggraver. Des contingency plannings sont organisés.

Réplique de Stéphane Crusnière

Monsieur le ministre, je vous remercie pour vos réponses. Évidemment, la situation du Nord-Kivu m'inquiète, sur le court comme sur le long terme. À court terme, je pense à la situation des civils, pris en otage et se retrouvant une nouvelle fois au milieu d'affrontements meurtriers entre des milices aussi nuisibles qu'incontrôlables. À long terme, c'est la situation politique en général qui me fait craindre le pire. Je vous invite donc à continuer à prendre des initiatives. Ne baissons pas les bras! Comme vous, j'ai regretté la décision unilatérale congolaise de suspendre notre collaboration militaire.

 

Dans tous les cas, pour mon groupe, la région des Grands Lacs et le sort de ses populations doivent être une priorité pour la diplomatie belge. Notre pays est encore écouté et souvent entendu dans cette région du monde.