Question de Julie Fernandez-Fernandez à Charles Michel, Premier ministre, sur les propos tenus par Théo Francken sur Médecins sans Frontières

Monsieur le président, mon groupe avait effectivement adressé la question au premier ministre mais nous nous attendions évidemment à la présence de M. Francken. Son absence est une insulte de plus à Médecins Sans Frontières et à Amnesty International. C'est surtout un acte de lâcheté.

 

Soit, j'en viens à ma question. Alors que certains, dans une réunion du Conseil européen, déclarent: "Qu'ils se noient, pourvu qu'on les repousse", aujourd'hui, en Méditerranée, des hommes et des femmes issus de la société civile travaillent à sauver des vie. Alors que certains en Belgique méprisent aujourd'hui le droit des réfugiés, d'autres en Belgique travaillent à côté de ces réfugiés à la défense de leurs droits et de nos valeurs fondamentales.

 

Depuis le début de la crise migratoire, tout le monde salue le travail fait par la société civile et par les ONG. Tout le monde souligne le caractère indispensable de ce travail, et de ces hommes et de ces femmes qui essayent de rendre un peu dignité à notre Terre. Enfin, tout le monde… non. Tout le monde, sauf le secrétaire d'État à l'Asile et à la Migration qui, en l'espace de quelques jours parvient à s'en prendre autant à Amnesty International qu'à Médecins Sans Frontières. Je le cite: "La stratégie d'Amnesty et des ONG, c'est une honte pour l'Europe." Il s'en prend aussi à MSF: "Vous ne faites que causer indirectement plus de morts." Plus loin, il dit encore: "Ils doivent rester à l'écart. Ce qu'ils font n'a plus rien à voir avec les réfugiés, mais avec la migration illégale."

 

Ces propos me donnent des haut-le-cœur, monsieur le premier ministre. Ils suscitent chez moi, comme chez beaucoup de personnes, l'indignation. Mais chez vous, non, visiblement. Vous parlez d'un problème de nuances dans la communication. Plutôt que de condamner sans réserve les propos ignobles de votre secrétaire d'État, vous appelez à respecter le travail des organisations humanitaires: heureusement. Après tant de dérapages dans son chef, il faut que vous vous rendiez à l'évidence. Chez lui, ce n'est pas un problème de communication, c'est un problème de fond et d'idéologie.

 

Monsieur le premier ministre, je vous le demande, ici, devant notre assemblée: votre gouvernement soutient-il, tout entier et sans réserve, oui ou non, l'action de la société civile pour la protection des vies humaines en Méditerranée? Soutient-il, sans réserve, oui ou non, le travail de la société civile en Belgique, aux côtés des réfugiés, et la défense de nos valeurs fondamentales? Condamnez-vous, monsieur le premier ministre, oui ou non et sans réserve, les propos tenus par M. Francken?

Réponse de Charles Michel

Monsieur le président, chers collègues, ce gouvernement a été confronté, comme beaucoup d'autres gouvernements en Europe les derniers mois, à une crise en matière d'asile probablement sans précédent cette décennie. Dans la collégialité, le gouvernement a toujours pris ses responsabilités pour assurer dans la dignité l'accueil que nous devions assumer. Nous avons d'ailleurs régulièrement eu l'occasion de débattre de ces questions extrêmement importantes et délicates dans cette assemblée.

 

S'agissant du tweet auquel vous faites allusion, je veux être extrêmement clair et je l'ai immédiatement été. Je désapprouve le tweet qui a été posté. Je condamne ce type de communication. J'invite à tourner sept fois son pouce avant de tweeter.

 

J'indique au nom de tout le gouvernement que nous soutenons et respectons le travail humanitaire réalisé. Il n'en reste pas moins, et là je m'écarte de certains propos qui ont été tenus, que respecter le travail humanitaire ne signifie pas être systématiquement d'accord avec les approches de certains acteurs de la société civile en matière de migration.

 

Comment l'Europe peut-elle élaborer une approche optimale du problème de l'asile et des migrations? Un débat démocratique approfondi s'impose à ce sujet. Je constate que cette question ne fait pas l'objet d'un consensus spontané au sein de cette assemblée.

 

Mon message est extrêmement clair. Je n'apprécie pas que l'on tente systématiquement de sous-estimer ce propos, qui a été tenu avec clarté.

 

Enfin, sur le fond de cette affaire, je continue à être totalement engagé avec le gouvernement et les instances européennes afin de trouver des solutions structurelles au départ de l'Europe et de voir de quelle manière, en dialoguant avec les acteurs de la société civile, on peut apporter des réponses convaincantes. C'est dans cet esprit-là que j'ai formellement chargé le secrétaire d'État de rencontrer Médecins Sans Frontières afin de créer la possibilité d'un dialogue respectueux, constructif et dans la nuance, car la nuance est nécessaire dans ce type de situation.

Réplique de Julie Fernandez-Fernandez

Monsieur le première ministre, par ces quelques caractères, votre secrétaire d'État a failli face à tous ces médecins, sauveteurs, sympathisants, activistes, bénévoles, qui donnent un sens à leur vie et refusent l'indifférence, le repli sur soi et l'extrémisme. C'est inexcusable.

 

Par ces quelques caractères aussi, votre secrétaire d'État pose une nouvelle tache sur la fonction de premier ministre de notre pays. J'entends que vous avez condamné un tweet. Je n'ai pas entendu de condamnation concernant d'autres propos antérieurs, que votre secrétaire d'État avait énoncés et qui sont tout aussi graves. Je crains que ce soit un épisode de plus et qu'il sera suivi par d'autres. Car, à côté des tweets de votre secrétaire d'État, il y a souvent, monsieur le premier ministre, votre silence complice.