Intervention de Frédéric Daerden sur le projet "promotion de l'emploi et sauvegarde préventive de la compétitivité"

Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, avant de parler du projet proprement dit, je pense qu'il est important de rappeler quelques éléments de contexte. Tout d'abord, l'écart salarial, parce que c'est de cela qu'on parle dans le cadre de ce projet de loi et ce projet de réforme de la loi de 1996. L'écart salarial, accumulé depuis 1996, avec nos pays voisins a été résorbé. Cela a été dit dans le cadre de nos discussions en commission. Il a été résorbé l'année dernière, bien avant la fin de la législature, et, pour y arriver, votre gouvernement a usé de mesures dures. Il y a eu blocage des salaires pendant deux ans et il y a eu saut d'index également. Il est important de le rappeler car cela a fait mal aux gens. Le pouvoir d'achat des travailleurs a été fortement diminué par ces mesures. Et on pourrait encore ajouter d'autres mesures, notamment celles qui touchent aux accises et à la TVA, mais cela sort de ce contexte. Cela a vraiment fait mal aux citoyens.

 

Et qui a profité de ce saut d'index et du blocage des salaires? En réalité, ce sont les employeurs qui en ont le plus bénéficié. Voilà le premier élément de contexte.

 

Un deuxième élément, – on n'en parle pas souvent, on n'en parle pas assez malheureusement  – c'est la productivité de nos travailleurs. Le travailleur belge est un des plus productifs du monde. Or on n'en parle pas et on ne l'intègre pas dans la réflexion, alors que c'est un élément important de la compétitivité et de la comparaison avec les pays voisins.

 

Troisième élément, qui a été rappelé également en commission: la loi de 1996 poursuit un objectif précis, à savoir préserver notre compétitivité en s'assurant que les salaires belges  n'augmentent pas plus vite que ceux de nos principaux partenaires commerciaux, à savoir l'Allemagne, la France et les Pays-Bas. Quand cette loi a été adoptée, en 1996, on a dit que cela ne devait pas se faire à n'importe quel prix. On a mis en place deux garanties importantes. La première est le respect de l'indexation automatique des salaires, qui est souvent attaquée par votre gouvernement de droite; la deuxième est le calcul de l'écart salarial qui ne devait s'opérer qu'à partir de 1996. Ces deux éléments venaient de la négociation et assuraient l'équilibre de la loi de 1996. Tout le monde était d'accord pour ne pas aller au-delà. Je constate que cela est remis en question et nous allons aborder ce point.

 

Monsieur le ministre, ainsi que je l'ai déjà dit, l'écart salarial avec les pays voisins est résorbé. Après ces années d'efforts, on s'attendait à ce que le gouvernement laisse les travailleurs retrouver un peu de pouvoir d'achat. Mais vous avez décidé de leur imposer une nouvelle diète. Avec votre projet, vous ressortez de votre chapeau ce que vous appelez l'écart historique et vous nous dites qu'il s'agit d'une modernisation de la loi. Je pense qu'il suffit d'appeler les choses par leur nom. Ce n'est pas une modernisation, mais simplement une demande du patronat, que vous copiez-collez dans votre projet de loi. Cela fait des années que la FEB le demandait. Vous, vous allez le faire.

 

Je vous rappelle que la FEB chiffre ce handicap historique à 10 %. C'est même vous qui me l'avez confirmé à plusieurs reprises en commission. Dès lors, le résorber reviendrait à opérer l'équivalent de cinq sauts d'index, soit une perte de plusieurs centaines d'euros par an pour les travailleurs. C'est, pour nous, totalement inacceptable.

 

Par rapport à cet écart historique, vous n'avez jamais voulu répondre clairement à mes questions en commission. Je vous ai demandé votre estimation de l'écart historique. Vous avez renvoyé la patate chaude aux partenaires sociaux. Selon vous, il sera défini par les partenaires sociaux au sein du Conseil central de l'Économie.

 

Ensuite, vous nous avez indiqué que la FEB l'estime à 10 %. Vous avez aussi dit que les représentants des travailleurs l'estiment à 0,1 %. On voit donc déjà les difficultés pointer. Comment vont-ils tomber d'accord si les uns disent 10 % et les autres, quasiment zéro? La fourchette est grande et c'est une fourchette dont l'impact sur les salaires est énorme, je viens de l'évoquer: l'équivalent de cinq sauts d'index. 

 

Il me paraît assez logique de vous demander comment vous allez faire s'ils ne tombent pas d'accord. Avez-vous déjà pensé à une méthodologie? Avez-vous un avis sur ce qui est la réalité de cet écart historique? C'est soi-disant un écart historique, qu'on évalue en plus de manière globale et linéaire, tous secteurs confondus. Et l'on sait qu'il y a une grande disparité d'un secteur à l'autre, c'est aussi une faiblesse de ce projet de loi.

 

On sait que si les partenaires sociaux ne tombent pas d'accord, c'est le gouvernement qui devra trancher. J'ai donc l'occasion ici de reposer ma question. Si le gouvernement doit être effectivement amené à trancher, pouvez-vous nous dire quelle est votre estimation du handicap historique? Pouvez-vous à tout le moins nous communiquer une fourchette plus précise que de zéro à dix? Est-ce de zéro à cinq, de trois à six, de deux à quatre? Quelle méthodologie allez-vous suivre?

 

En tant que ministre de l'Emploi et de l'Économie, vous devriez nous donner une indication sur la direction que prendre le gouvernement car cela aura un impact trop important sur le salaire de nos travailleurs.

 

Il est donc important que vous clarifiiez cet élément.

L'indexation des salaires et les augmentations barémiques est évidemment un thème fondamental, qui est prévu dans la loi. J'ai eu l'occasion de vous interroger à ce sujet en commission, monsieur le ministre, tant lors de la première que de la deuxième lecture du texte en vous demandant si vous pouviez nous garantir qu'en effet, on ne touchera pas à ces deux éléments fondamentaux. Vous avez évidemment dit "oui". Mais attention, la loi prévoit que si l'écart salarial, qui se serait constitué malgré la loi, n'est pas résorbé dans les deux ans, le gouvernement pourra prendre des mesures.

 

C'est ce qui est prévu. Ces mesures ne savent pas sortir de nulle part. C'est notamment sur ces thèmes que vous pourriez être amenés à travailler et donc à sanctionner, à nouveau, les travailleurs.

 

Vous êtes peut-être de bonne foi quand vous dites que vous ne toucherez plus à l'index. Mais j'ai les mêmes craintes que ma cheffe de groupe, car vous êtes parfois amené à céder à vos partenaires du gouvernement. À ce niveau aussi, la brèche législative est donc ouverte pour de nouveaux sauts d'index dans le futur. C'est la raison pour laquelle, avec mon collègue, Ahmed Laaouej, j'ai lancé une pétition pour mettre l'indexation automatique des salaires dans la Constitution. Je tenais à le rappeler ici. Je vous invite, d'ailleurs, à la signer.

 

Monsieur le ministre, je crains que le résultat final de ce projet de loi ne fasse peser à nouveau tous les efforts sur les travailleurs. Alors que l'on parvient à résorber l'écart salarial, le gouvernement modifie les règles du jeu et remet fondamentalement en cause l'équilibre initial de la loi en prévoyant de résorber aussi l'écart historique.

 

Le projet de loi prévoit également que les réductions des cotisations sociales patronales ne pourront, à l'avenir, plus conduire à des augmentations de salaire. On fera donc comme si ces cadeaux aux employeurs n'avaient jamais été octroyés. Il faut le dire, le tax shift ne pourra pas permettre d'augmenter le pouvoir d'achat des travailleurs et ne bénéficiera qu'aux employeurs, ce qui est totalement inacceptable.

 

La compétitivité à tout prix n'est pas souhaitable et encore moins si elle se fait au détriment du niveau de salaire de nos travailleurs. Même la Commission européenne et l'OIT disent qu'il faut revaloriser les salaires dans notre économie, si on veut espérer une relance.

 

Monsieur le ministre, il y aurait encore beaucoup de choses à dire sur ce projet dont nous avons eu l'occasion de discuter longuement en commission, vu son importance et l'impact qu'il aura sur le salaire des travailleurs.

 

Monsieur le ministre, vous l'avez compris, nous ne pouvons soutenir votre projet qui frappe le pouvoir d'achat, le salaire qui détermine les conditions de vie, la qualité de vie, du logement, le type de biens, de services ou de loisirs que nous pouvons nous offrir, la sécurité d'existence de nos citoyens.

 

Comme je l'ai dit avant cet échange, nous ne pouvons accepter ce projet qui constitue un recul pour les travailleurs de ce pays. Nous avons encore redéposé des amendements car nous sommes convaincus des effets négatifs de ce texte, qui est améliorable. Nous en avons déposé en première lecture, en deuxième lecture et nous redéposons ici quelques amendements fondamentaux, notamment visant à supprimer les références à la prise en compte de l'écart historique qui nous paraît totalement injuste. La prise en compte de l'ensemble des subsides salariaux est fondamentale en termes de justice sociale.

 

Des amendements visent aussi à empêcher la prise de mesures complémentaires par le gouvernement, qui pourraient aller jusqu'à des nouveaux sauts d'index.

 

Comme je le disais tout à l'heure, il existe une tellement grande diversité en termes d'écart salarial d'un secteur à l'autre par rapport à nos pays voisins qu'une vision linéaire et une application obligatoire dans les secteurs de la marge qui est déterminée au niveau sectoriel ne conviennent pas et ne sont pas économiquement adaptées. Un amendement vise à permettre aux secteurs d'intégrer leurs spécificités salariales.

 

Il faut aussi rendre une réelle place à la concertation. Je ne l'ai pas développé dans mon intervention mais indiscutablement, avec cette réforme, avec cette pseudo-modernisation, c'est une fois de plus un recul pour la concertation sociale.

 

Enfin, par voie d'amendements, nous voulons prévoir des règles pratiques en vue d'étendre la modération aux autres revenus. C'est théoriquement prévu dans la loi. Ces amendements permettraient de rendre sa pertinence et son caractère équilibré à la loi de 1996.

 

Je vous remercie pour votre attention.