Monsieur le président, monsieur le ministre, voilà plus de cinq ans que la Syrie connaît la descente aux enfers. À Alep ou ailleurs, devant tant de violence, d'horreur, face à tant de cris de détresse ou d'agonie, on ressent de la colère, de l'indignation mais aussi de la honte, la honte de l'impuissance, la honte d'être dans nos petits conforts de vie, dans nos misérables petites querelles de clocher, alors qu'une ville vient, sous nos yeux, d'être éventrée, d'être déchirée.
On gère l'impuissance comme on peut: les uns en témoignant ou en manifestant, les autres en convoquant les images et les mots. Plus on est impuissant, plus les mots choisis doivent être forts, comme s'ils pouvaient faire oublier le charnier syrien. C'est de cette impuissance-là que je voulais vous parler, des moyens de diminuer notre honte collective. Un sommet européen est en cours. L'Europe va-t-elle ouvrir le couloir de l'espoir ou se contenter des mots de l'émotion?
Je ne néglige pas les initiatives pries par la Belgique. Mais, au-delà, on apprend qu'une évaluation est en cours à Alep. Les informations fusent dans tous les sens. Certains estiment que tout se passe bien. D'autres évoquent des tirs, des tirs sur des ambulances, des tirs sur des convois. Avez-vous des informations? Quelle est la position de la Belgique sur des couloirs humanitaires sous contrôle de l'ONU ou sous contrôle d'observateurs indépendants, européens par exemple?
Alep n'est pas la seule ville martyre. Quelle est la position de notre diplomatie, que va-t-elle défendre à l'Europe, pour que nous ne soyons ensemble et non plus divisés pour défendre le peuple syrien confronté tant aux horreurs de Daesh que du régime de Bachar al-Assad? La Belgique est candidate au Conseil de sécurité. La position de notre pays est d'autant plus importante.
Enfin, monsieur le ministre, en votre âme et conscience, face à tant d'horreur, ne ressentez-vous pas l'indignité d'un gouvernement qui refuse d'exécuter une décision de justice et de délivrer pour une de ces familles qui appelle au secours?
Réponse de Didier Reynders
Monsieur le président, chers collègues, je suis heureux que nous puissions avoir ce débat en séance plénière aujourd'hui.
Le drame, à Alep, est là depuis quelques années. La Belgique, comme l'Union européenne, notamment à travers sa diplomatie, agit depuis plusieurs années. Nous avons apporté notre soutien à l'opposition par le biais de multiples de contacts, mais aussi à travers des moyens mis à sa disposition. Nous avons d'abord et cela a été rappelé, décidé de participer à une coalition militaire en Irak, pour, ensuite, étendre la mission de nos F-16 en Syrie.
Je voudrais rappeler que personne, quel que soit le drame que connaît Alep, ne s'est montré favorable à une intervention de nos militaires au sol. Personne! Et quand il est question d'une intervention européenne, la démarche est la même dans tous les pays européens. On a cherché la possibilité de soutenir les actions des forces rebelles au sol, mais jamais l'idée n'est venue d'une intervention au sol.
Je voudrais également rappeler qu'en 2015, la Belgique a émis 282 visas humanitaires. Plus de 240 personnes ont ainsi été évacuées des zones détenues par les rebelles. Ces personnes ont rejoint notre pays via notre ambassade à Beyrouth. Je ne reviendrai pas sur la procédure en cours.
Aujourd'hui, de nombreuses procédures sont en cours concernant une demande faite par une famille. Je tiens ici à signaler que cette famille s'est rendue à plusieurs reprises à Beyrouth, que des contacts ont été pris par notre diplomatie. Elle peut être accueillie au Liban. Si un drame sécuritaire existe réellement, la sécurité peut être assurée au Liban, d'autant que, sur le plan humanitaire, nous aidons les pays qui entourent la Syrie.
Je rappelle qu'il y a eu, y compris dans cette assemblée, beaucoup de débats pour savoir s'il fallait ou non intervenir, par le biais des moyens directs de l'Union européenne, dans le cadre de l'accueil des réfugiés en Turquie. Nous le faisons. Nous intervenons en Jordanie. Nous intervenons également au Liban. La solution se trouve là pour un certain nombre de personnes, aujourd'hui évacuées. Si elles le souhaitent, il y a une possibilité d'accès au Liban.
La situation s'est détériorée au cours des derniers jours et des dernières semaines. La responsabilité en incombe au régime du président Assad mais également à la Russie et à l’Iran
Nous avons déjà pris différentes initiatives, notamment en soutenant la résolution française des Nations Unies mais jusqu'ici, la Russie et parfois aussi la Chine y ont opposé leur veto.
Une proposition d'envoi d'observateurs européens circule à nouveau mais elle requiert toujours un accord du Conseil de sécurité de l'ONU. Nous avons toujours soutenu chaque initiative de l'UE.
Nous avons également donné instruction à nos ambassadeurs en poste à Moscou et à Téhéran de réclamer instamment un cessez-le-feu à Alep
La Turquie a pris l'initiative de ce cessez-le-feu. Depuis aujourd'hui, l'évacuation est possible. La Croix-Rouge met à disposition une vingtaine de bus qui transporteront en priorité les
personnes gravement malades
Un certain nombre de blessés et de malades sont évacués pour l'instant. L'information est d'autant plus précise que le maire d'Alep-Est est pour l'instant à Bruxelles. Il est reçu à l'échelon du Conseil européen et on essaie de voir avec lui quelles sont les meilleures manières d'organiser l'évacuation et l'aide humanitaire sur place, en particulier et d'après les informations qui sont à confirmer, pour des blessés graves. Les blessés sont évacués vers la partie de la ville occupée aujourd'hui par les troupes du régime et certains d'entre eux seront conduits, s'ils le souhaitent, vers d'autres régions sous contrôle rebelle.
L'année dernière, nous avons déjà accueilli un certain nombre de personnes avec des visas humanitaires et un accueil direct est également possible dans des pays voisins, comme cela été vérifié par notre diplomatie, en ce compris là où des familles se sont rendues, à Beyrouth, au Liban.
Cela dit, face aux drames que vivent des civils aujourd'hui à Alep, notre pays est prêt à participer non seulement à un certain nombre d'initiatives diplomatiques, mais aussi aux initiatives qui seront probablement proposées tout à l'heure par l'Union européenne sur le plan humanitaire.
Un budget de 65 millions d'euros a déjà été dégagé pour l'accueil de réfugiés dans les pays limitrophes mais il est peut-être possible de faire davantage. Des discussions sont en cours au sujet
des couloirs humanitaires mais pour cela, il nous faut aussi l'accord du Conseil de sécurité de l'ONU.
Je voudrais enfin vous dire que nous avons aussi soutenu des initiatives et pas seulement sur le cessez-le-feu. Avec 122 autres pays, nous sommes passés vers l'assemblée générale des Nations unies pour demander un cessez-le-feu à Alep mais nous avons aussi demandé - et le Lichtenstein vient de prendre une initiative que nous avons immédiatement soutenue, avec d'autres – que l'on collecte un certain nombre de preuves à Alep, parce qu'il ne pourra pas exister d'impunité pour ce qui se passe aujourd'hui et que l'on qualifie de violation des droits humains. On peut probablement parler de crimes de guerre et probablement pire.
Donc, il faut qu'à l'échelon de la communauté internationale, au-delà de l'aide, il y ait aussi une capacité de lutter contre cette impunité. Il y a donc une initiative en cours, que nous soutenons, pour mettre en place un système juridictionnel international dans ce cas précis. Nous verrons sous quelle forme, mais on souhaite que l'assemblée générale puisse se prononcer.
Enfin, il va falloir continuer à rechercher une solution politique. Je voudrais répéter, si c'est nécessaire, que c'est déjà, monsieur Maingain, en 2012, que j'ai eu l'occasion de dire, lors des rencontres réunissant les Amis du peuple syrien, que lorsque l'on emprunte le chemin de la barbarie, on ne le rebrousse pas et que, dès lors, le bourreau de son peuple ne pourra pas faire partie de la solution.
Il est évident aussi que la négociation de la transition se fait bien entendu avec des représentants du régime. Cela a été le cas dans chaque négociation à Genève. Il est impossible de mettre en place une transition autrement. Cela étant, je le répète, nous avons non seulement dit, dès le départ, qu'il n'était pas possible que l'actuel président joue un rôle dans la solution pour son pays demain, mais nous avons aussi participé à des initiatives pour que l'on puisse imaginer des poursuites à son égard, comme à l'égard d'un certain nombre d'autres responsables du régime.
Cela étant, monsieur le président, je voudrais conclure en disant que je comprends le sentiment d'impuissance que beaucoup peuvent avoir. Cela ne nous empêche pas d'agir. Cela ne nous empêche pas d'être présents dans chacune des étapes du drame que vivent aujourd'hui des populations, pas seulement à Alep, mais dans d'autres villes de Syrie également. Mais pour pouvoir mettre fin à cette situation de conflit, il faut qu'un certain nombre d'acteurs du conflit acceptent de participer à la solution.
Jusqu'à présent, cela n'a jamais été le cas du régime; ce fut très rarement celui tant de la Russie que de l'Iran. Nous continuerons donc de plaider non seulement en faveur d'une avancée vers un cessez-le-feu et une aide humanitaire directe, mais également pour une véritable solution politique d'ensemble en Syrie.
Réplique de Laurette Onkelinx
Monsieur le ministre, je vous remercie.
Vous avez raison de rappeler les initiatives prises par la Belgique. Il n'est pas question ici de le contester, mais nous savons que cela ne représente qu'un petit pas et qu'une action concertée à l'échelle européenne est indispensable pour pouvoir peser véritablement.
Il s'agit, comme vous l'avez dit, de peser sur la gestion du conflit et sur l'aide humanitaire au travers des couloirs de l'espoir, mais il faut aussi empêcher que prévale une quelconque impunité. Par conséquent, je soutiens sans réserve cette idée de plaider pour que des instances puissent juger ces crimes contre l'Humanité. C'est une évidence pour moi. Dès lors, j'espère que, tout à l'heure, le sommet européen - qu'il s'agisse d'intervenir dans le conflit politique, de soutenir l'aide humanitaire ou de refuser l'impunité des horreurs qui sont commises là-bas - prononcera une parole forte.
Rappelez-vous qu'à l'ONU, Ban Ki-moon, constatant cette impuissance, a déclaré: "L'Histoire ne nous absoudra pas facilement". Il ne faudrait pas que l'Europe dise la même chose.
En revanche, je ne vous suis évidemment pas du tout dans les propos que vous avez tenus au sujet de l'accueil de réfugiés. J'estime qu'il est cynique de répondre: "Ils n'ont qu'à aller au Liban. Nous les aiderons". Le Liban ne fournit-il pas déjà un effort démesuré? Pour le moment, les réfugiés y affluent en masse et sont cantonnés dans des camps où la situation sanitaire, en particulier, est inacceptable. Notre seule réponse à une décision de justice consiste à déclarer: "Nous ne prenons pas cette famille, qui n'a qu'à se rendre au Liban". Je trouve cela indécent et regrette que vous n'ayez pas lavé l'outrage que le gouvernement belge a infligé au courage de la solidarité et, tout simplement, à l'humanisme.