Question de Gwenaëlle Grovonius à Didier Reynders, ministre des Affaires étrangères, sur le CETA

Monsieur le président, monsieur le ministre, certes le Canada est un partenaire important de la Belgique et de l'Union européenne. Il s'agit même d'un pays ami. Mais ce n'est pas pour autant que nous ne devons pas être vigilants.

 

Monsieur Vandeput, l'opposition du PS à cet accord n'est ni un signe d'euroscepticisme, ni la manifestation d'une certaine méfiance à l'égard du Canada. En revanche, notre volonté est de préserver notre modèle socioéconomique, nos emplois 

ainsi que nos normes sociales et environnementales.

 

Malheureusement, la déclaration interprétative jointe au CETA ne change rien au texte qui nous est proposé.

 

Monsieur Vandeput, monsieur Miller, le problème réside dans le fait qu'aujourd'hui, nous nous trouvons face aux positions dogmatiques du MR et de l'Open-Vld qui considèrent que le libre-échange est bon en soi, qu'il est un remède à tous les maux.

 

Monsieur Miller, expliquez-moi pourquoi, aujourd'hui, 1 % de la population possède plus de 50 % des richesses? Expliquez-moi pourquoi les multinationales telles que Caterpillar agissent comme elles le font aujourd'hui?

 

Par ailleurs, je vous reproche d'avoir une position, par nature, totalement imprudente. Votre leitmotiv consiste à dire qu'il faut signer ce traité et que ce n'est pas grave s'il doit avoir des conséquences malheureuses, que nous y reviendrons par la suite. Mais une fois que cet accord sera signé, monsieur Miller, il sera trop tard.

Le PS s'insurge contre votre position. En revanche, il est très fier de la position adoptée par le parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles et du veto de ce dernier, veto que je vous demande d'ailleurs, monsieur le ministre, de relayer sans la moindre ambiguïté.

 

Monsieur le ministre, quelle position défendrez-vous au nom de la Belgique lors du prochain Conseil européen, suite à ce vote au niveau du parlement de la Fédération Wallonie- Bruxelles? Quelles conséquences la position belge entraînera-t-elle dans les suites de la procédure pour le CETA et quelles seront les conséquences pour les négociations au niveau du TTIP?

Réponse de Didier Reynders

Le gouvernement fédéral soutient le CETA. Les deux gouvernements précédents ont défendu les mandats de négociations spécifiques de 2009 et 2011. Cet accord est non seulement conforme au mandat mais il est même plus favorable aux investissements. De véritables juges seront en effet nommés par les deux parties, et non par des multinationales. Ce sont des juges publics. C'est un système novateur. Le CETA est la meilleure garantie que nous ayons pour éviter un mauvais TTIP car il va plus loin que tous les autres accords en matière de normes sociales et environnementales et qu'il crée un cadre réglementaire de l'investissement

 

Le CETA bénéficie d'une large adhésion dans d'autres pays tels que la France et l 'Italie. Il compte à présent le SPD allemand parmi ses partisans. A l'échelon européen, le soutien ne vient pas seulement des chrétiens démocrates et des libéraux mais aussi des socialistes. En tant que seul ministre libéral des Affaires étrangères des six pays fondateurs de l'UE, je dois à présent aller expliquer à mes cinq homologues socialistes, tous favorables au CETA, que ce traité pose problème à la Belgique.

 

Je réponds très simplement à M. Hellings et à Mme Grovonius: je verrai probablement lundi quelle sera la position adoptée par la Belgique parce que je suis respectueux des procédures. Lundi, une concertation avec les différents gouvernements aura lieu. Vous le savez, la responsabilité de signer est dans les mains des gouvernements. Les parlements ont évidemment le droit de voter des résolutions, d'influer sur le cours des événements, mais le choix de décider, de signer ou non, appartient aux exécutifs. Il ne faut pas se cacher derrière ses responsabilités, derrière un paravent. Ce sont les exécutifs qui signent, les parlements, ensuite, ratifient ou non. Ici, bien entendu, on préfère ne pas prendre cette responsabilité! Nous verrons bien…

 

Sur le fond, le Canada est le pays, hors Union européenne, le plus proche de nous, en ce qui concerne l'ensemble des normes que vous évoquez. Quand je dis le plus proche de nous, je ne dis même pas le plus proche de l'Union européenne. Il y a des pays dans l'Union européenne qui protègent moins bien leurs services publics que ne le fait le Canada. Il y a des pays dans l'Union européenne qui appliquent des normes sociales et environnementales moins favorables que ne le fait le Canada.

 

Dans ce contexte-là, que celles et ceux qui vont envisager de refuser de signer cet accord se rendent compte qu'ils vont nous placer dans une situation d'isolement complet en Europe. Nous pouvons crier ici mais nous sommes seuls en Europe, sur le sujet, face à cette démarche de quelques parlements régionaux et communautaires. Si nous ne signons pas avec le Canada, avec qui d'autre sera-t-il encore possible de signer? Lorsque nous devrons négocier avec la Grande-Bretagne qui sera sortie de l'Union européenne, que pourrons-nous accepter, si nous n'acceptons pas le Canada? Le Vietnam a été négocié; nous allons devoir signer. Pensez-vous qu'il vaut mieux aller devant les tribunaux vietnamiens, si nous avons un conflit d'une entreprise belge au Vietnam ou aller devant une juridiction dont les magistrats publics sont désignés des deux côtés par l'Union européenne et par le Vietnam?

 

Et puis – je sais que, cette semaine, beaucoup ont été très sensibles à cette situation –, nous tentons de conclure avec la Tunisie. Nous allons pouvoir signer un accord avec elle en fonction des normes sociales et environnementales pratiquées dans le pays. Je le répète, si nous ne concluons pas avec le Canada, je ne sais pas avec qui nous pourrons encore le faire. Le CETA représente le meilleur accord commercial que l'Union européenne ait jamais conclu depuis qu'elle conclut des accords.

 

Je regrette que, pour des raisons que je pense peu liées à la nature même du CETA, plusieurs formations politiques belges aient changé d'avis.

Réplique de Gwenaëlle Grovonius

Monsieur le ministre, je vous remercie pour votre réponse. Je le dis et je le répète: nous, socialistes, ne jouerons pas à ce jeu de dupes. Nous demandons à la Commission, mais aussi à votre gouvernement fédéral, de bien vouloir descendre de sa tour d'ivoire et d'enfin intégrer toutes les réticences que nous entendons depuis des mois; réticences de la population, de la société civile, des mutuelles, des syndicats, des agriculteurs, face à ce rouleau compresseur du néolibéralisme sur notre tissu socioéconomique et notre modèle de vie, dont nous savons qu'ils seront les principales victimes de ce traité.

 

Monsieur le ministre, il est temps d'abandonner ces logiques de concurrence à tout prix et de mobiliser toutes nos énergies pour mettre en place des politiques qui visent réellement le bonheur des peuples et non le profit de quelques-uns. Les citoyens ont aujourd'hui, vous le savez, chers collègues, une grande méfiance vis-à-vis du politique. Ils ont le sentiment que les politiques sont à la botte des multinationales. Nous avons aujourd'hui une opportunité unique de leur prouver le contraire. J'espère, monsieur le ministre, que votre gouvernement aura le courage de le faire.