Question d'Ozlem Ozen à Koen Geens, ministre de la Justice, sur l'avenir du juge d'instruction

Monsieur le président, monsieur le ministre, ce matin, la presse faisait état d'un rapport concernant la réforme de l'instruction pénale. Ce rapport préconise plusieurs mesures qui remettent en cause une institution fondamentale de notre organisation judiciaire, à savoir la suppression de la fonction de juge d'instruction.

 

Il est difficile de se prononcer sur un rapport que nous n'avons pas lu mais cette tendance à vouloir renforcer le parquet, intimement lié au pouvoir exécutif, et donc d'affaiblir la magistrature assise pose question et est lourde de conséquences. La fonction de juge d'instruction est une institution qui fonctionne et en laquelle les citoyens ont une entière confiance, ce qui est non négligeable en ces temps de méfiance vis-à-vis des institutions.

 

Symbole d'indépendance, je juge d'instruction ne rend de comptes à personne et surtout pas à l'autorité politique. De plus, le fait de le supprimer revient à méconnaître les responsabilités qui lui incombent et la dynamique du procès pénal puisque le juge d'instruction est amené, avant le procès, à prendre les plus lourdes décisions en termes de restriction de liberté ou d'atteinte à la vie privée. La balance d'intérêt entre les droits individuels et l'action publique exige donc une indépendance de fait, au-delà même du prescrit des textes, une indépendance sur l'issue de l'audience que ne connaît pas le parquet. C'est la position centrale du juge d'instruction dans l'enquête qui garantit qu'elle est menée à charge et à décharge, une responsabilité que ne pourra assurer un juge chargé de surveiller de loin l'évolution du dossier.

 

Je retiens des extraits de ce rapport que toute réforme n'a de sens que si elle est accompagnée d'un renforcement des moyens humains et matériels.

 

Monsieur le ministre, ce rapport sera-t-il rendu public? Que contient-il? Comptez-vous suivre ses recommandations dans leur ensemble?

 

N'estimez-vous pas que la place du parquet au sein du procès rend plus complexe une instruction à charge et à décharge? Enfin, comment éviter qu'un parquet tout puissant entraîne une justice à deux vitesses, une justice qui dépend des moyens dont le justiciable dispose pour contrôler l'enquête forcément à charge du parquet?

Réponse de Koen Geens

Monsieur le président, chers collègues, monsieur le procureur, vous savez qu'à la demande de mon prédécesseur, l'Université de Gand avait, sous la précédente législature, réalisé une étude sur les points d'achoppement dans l'actuelle procédure pénale belge.

 

 

L'accord gouvernemental prévoit que, dans le prolongement de cette étude, le gouvernement préparera un projet de nouveau Code de procédure pénale sur la base des orientations arrêtées par le gouvernement.

 

 

 

Monsieur Brotcorne, vous m'avez demandé si j'étais déçu par la publicité dont a fait l'objet cet avant-projet de loi. Ma réponse est oui. En effet, quand je le peux, je donne toujours la primeur au parlement, comme ce fut le cas, par exemple, pour le Plan Justice. J'aurais souhaité qu'il en soit de même pour l'avant-projet de nouveau Code de procédure pénale. Mais au préalable, une délibération quant aux orientations à donner à ladite procédure était nécessaire.

 

 

 

Par arrêté ministériel du 30 octobre 2015, nous avons nommé quatre experts (deux néerlandophones et deux francophones) chargés de préparer ces orientations, ce qu'ils ont fait. Nous sommes maintenant au stade des premières délibérations dans le cadre de groupes intercabinets au sujet des orientations qu'ils ont définies sur divers points.

 

 

 

Cela dit, le journaliste qui a reçu l'avant-projet d'orientation a surtout porté son attention sur le rôle du juge d'instruction. Il est ici question d'avis qui ont été donnés. Je n'ai pas instruit les experts car ce n'est pas mon genre. Je n'ai donc jamais procédé de cette manière, si ce n'est pour le droit que je connais un peu, à savoir le droit des sociétés. Pour le reste, les experts ont plus de connaissances que moi.

 

 

 

Pour ce qui concerne le juge d'instruction, selon l'avis qu'ils ont rendu, ce dernier ne disparaît pas. Il sera toujours celui qui autorise toutes les mesures d'enquête spécifiques, comme la perquisition, l'écoute téléphonique, etc. Pour l'instant, ils donnent la préférence à l'unité de l'enquête, ce qui présente des avantages pour ce qui concerne l'inégalité de traitement qui existe entre les dossiers qui donnent lieu à une enquête sous la direction du juge d'instruction et ceux pour lesquels ce n'est pas le cas.

 

 

 

Les experts ont fait leur choix. Si tel est également le choix du gouvernement, vous le saurez bientôt, mais les discussions ne viennent que de démarrer.

 

 

 

Ne demandez pas mon avis pour le moment. Mon avis sera celui du gouvernement. C'est évident.

 

 

La mini-instruction n'enlève pas du tout au juge d'instruction le pouvoir de s'emparer de l'enquête s'il le veut. Vous le savez bien. Les experts proposent autre chose. En effet, monsieur Calomne, il s'agirait d'un juge de l'instruction. Vous pouvez être sûr, et c'est mon avis personnel: le juge, en l'espèce le ministre, veillera à l'impartialité de l'enquête à tout moment, à charge et à décharge.

Réplique d'Ozlem Ozen

Monsieur le ministre, votre réponse est bien entendu lacunaire, puisqu'on ne sait pas si vous allez suivre ces avis et recommandations des experts, ou si c'est le gouvernement qui décide. Vous prenez acte puis le gouvernement suit, soit… peu importe. Nous constatons que les choses sont en filigrane, et dans la continuité des réformes qui ont été menées jusqu'à présent, notamment dans le cadre du pot-pourri II, avec l'élargissement de la mini-instruction. Le parquet aura plus de pouvoir. Nous ne nous faisons plus trop d'illusions sur vos intentions.

 

La question essentielle et urgente demeure. Elle a aussi été rappelée dans ce rapport ou dans la presse. C'est celle des moyens alloués à la Justice. On ne parle jamais de plus de moyens et de budget, mais toujours de moins, moins, moins… moins de garantie et moins d'indépendance pour le citoyen. Je vous remercie.