Question de Sébastian Pirlot à Charles Michel, Premier ministre, sur le "plan stratégique" Défense

Monsieur le premier ministre, cette nuit, votre gouvernement a eu un songe. Pas le Songe d'une nuit d'été, cher à Shakespeare, mais plutôt une vision nocturne qui va donc faire office de plan stratégique. C'est bien sans aucun plan stratégique que vous allez représenter notre pays la semaine prochaine au sommet de l'OTAN. Une fois de plus, ce gouvernement a été acculé. Fin décembre, nous avions déjà dû nous contenter d'une simple annonce par le ministre de la Défense de certains points stratégiques, qui ont d'ailleurs été immédiatement qualifiés d'idiots par l'un de vos vice-premiers ministres. Pourquoi serait-ce différent cette fois?

 

Sous ce gouvernement, la Belgique allait devenir le meilleur élève de l'OTAN. Ce n'était que de la "com"! L'heure est au bilan: 7 000 pertes d'emplois, 2 milliards d'économies (un record), jamais aussi peu de militaires belges déployés à l'étranger et l'engagement des militaires en berne, de même que leur moral! Mais, surtout, cette vision consiste en la promesse d'achats militaires pour plus de 9 milliards, des achats boulimiques, décidés sans réflexion européenne, vu l'atlantisme affiché de la N-VA, en envoyant la facture au prochain gouvernement, puisque ce gouvernement-ci ne paiera rien.

 

Monsieur le premier ministre, pourquoi le plan stratégique de la Défense promis dans l'accord de gouvernement s'est-il mué en vision stratégique nocturne? Qui paiera la facture des achats que vous avez décidés? Avec quel engagement budgétaire pour cette législature allez-vous vous rendre au sommet de l'OTAN de Varsovie? Est-il vrai que l'aide à la nation passera à la trappe sous ce gouvernement? Enfin, cette vision répondra-t-elle à la question de l'avenir des quartiers militaires tant au Nord qu'au Sud du pays, alors qu'hier encore en commission, le ministre de la Défense n'a pas répondu à cette question?

Réponse de Charles Michel

Monsieur le président, chers collègues, merci pour les différentes questions qui ont été adressées au gouvernement. Je voudrais concentrer ma réponse sur les deux sujets que sont, d'une part, le sommet de Varsovie et, d'autre part, la vision stratégique.

 

En ce qui concerne le sommet de Varsovie, plusieurs l'ont évoqué, nous sommes dans un moment important parce que nous ressentons bien que ce sommet, qui a lieu en général tous les deux ans, trouve place à un moment où l'on ne peut pas dire que la situation sécuritaire se soit améliorée ou serait devenue plus rassurante. Tant au sud de l'Europe que du côté est, nous constatons un regain de conflits et un regain de tensions. Cela suppose qu'il y ait cet engagement au départ des chefs de gouvernement et des chefs d'État pour tenter de voir comment, ensemble, nous pouvons renforcer les mesures, comment, ensemble, nous pouvons coopérer pour faire face à ce diagnostic que nous partageons sur la situation sécuritaire.

 

Je confirme que nous allons soutenir la stratégie pour continuer à nous mobiliser pour la dissuasion renforcée, que nous allons continuer à tenter de mobiliser plus de moyens pour la défense collective, à tenter de renforcer des coopérations notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et à développer des stratégies pour la lutte pour la cybersécurité et contre la cybercriminalité.

 

Nous constatons aussi qu'à côté des enjeux au sud de l'Europe, il sera important de développer une stratégie ambitieuse pas seulement au départ de l'OTAN mais aussi dans d'autres instances. Je pense à l'Union européenne et aux Nations unies, dans le cadre du dialogue avec la Russie. Pour toujours, la Russie sera la voisine de l'Europe. Pour toujours, il sera nécessaire de trouver le chemin entre, d'une part, une capacité de faire respecter les valeurs que nous incarnons et, d'autre part, l'ambition de réussir le dialogue politique avec la Russie.

Sur le plan international et conformément à l’accord de gouvernement, le gouvernement a confirmé sa stratégie 3D en matière de coopération au développement, en donnant son soutien à l’aide humanitaire, la diplomatie, le dialogue politique, l’engagement politique et la défense.

 

Monsieur Dallemagne, vous nous aviez habitués à plus de correction sur le plan intellectuel. Nous avons parfois siégé dans des commissions parlementaires ensemble. Quelle est la réalité? La réalité, c'est qu'en Europe, depuis la guerre froide, il existe une tendance lourde à la baisse des budgets de Défense. Ce n'est pas propre à la Belgique, ce n'est pas propre aux deux dernières années. C'est une tendance lourde dans le cadre de laquelle des économies budgétaires ont été réalisées, de manière importante, sur le dos des budgets de la Défense.

 

Le message important, dont j'ai pris connaissance très vite en devenant chef de gouvernement, c'est l'appel pour de la solidarité en matière de Défense et pour de la crédibilité.

 

Les responsables de l’OTAN nous ont demandé de mettre fin aux mesures d’économie en matière de Défense et c’est ce que nous faisons.

 

Enfin, monsieur Dallemagne, vous avez tenu des propos absurdes à cette tribune. Vous avez dit qu'en matière de Défense, les investissements ne portent pas sur plusieurs législatures. C'est pourtant toujours le cas. En matière de Défense, les contrats sont tellement importants qu'ils ont, à chaque fois, un impact financier sur plusieurs législatures.

 

Je vous confirme que des moyens seront mobilisés durant cette législature. Ainsi, 200 millions d'euros seront dégagés pour neutraliser les effets de la tendance à la baisse des budgets de la Défense, ce qui tranche avec des décisions budgétaires qui ont été prises par le passé. En effet, pour la première fois, on stabilise la Défense avec une perspective de croissance.

 

Chers collègues, nous sommes totalement convaincus que nos militaires, mobilisés pour nos libertés, notre sécurité, sur notre propre sol, comme c'est le cas depuis les attentats aux conséquences tragiques qui ont touché notre population, mais aussi sur des sols étrangers, méritent d'être soutenus par ce parlement et ce gouvernement.

 

Je suis plutôt fier de diriger un gouvernement qui a travaillé intensément, pendant des mois, avec sérieux, avec un souci de crédibilité pour être en mesure de respecter cet engagement stratégique pour l'avenir.

 

Par ailleurs, et surtout – c'est là tout le sens du travail qui va être réalisé – le Conseil des ministres a demandé au ministre de la Défense d'implémenter ce projet, sur la base d'un document sérieux qui comprend 114 pages, qui pose un diagnostic, identifie des orientations et qui va nous permettre de continuer à progresser, dans les semaines et les mois à venir.

 

J'ose donc dire que cette législature représente incontestablement un tournant dans le bon sens pour la Défense en Belgique en passant à une nouvelle page, à un nouveau chapitre. Cela aussi devra être mis à l'actif de cette majorité.

Réplique de Sébastian Pirlot

Monsieur le premier ministre, sans doute ne vouliez-vous pas arriver tout nu au sommet de l'OTAN, ce que je comprends d'un point de vue politique! C'est, néanmoins, dans cette vision que vous vous draperez. Vous me confirmez que ce songe ou plutôt cette vision cauchemardesque ou encore terreur nocturne ne nous apprend rien, puisque rien n'est ni financé, ni tranché, ni réfléchi! Vous venez simplement d'utiliser un crédit à la consommation d'une valeur de 9 milliards d'euros. Dès lors, la seule solution qui se présentait à vous pour représenter notre pays au sommet de l'OTAN était de vous cacher derrière ce flou artistique.

 

J'aimerais terminer par une réflexion plus générale, monsieur le premier ministre. Nous venons de parler du Brexit. Si cette sortie du Royaume désuni se traduit concrètement - il faut savoir que le Royaume-Uni était l'un des États européens les plus opposés à la création d'une défense européenne - peut-être avons-nous une chance de créer enfin les conditions d'une mutualisation des coûts des États européens en matière de défense européenne et d'enfin créer ce pilier européen de la défense qui nous fait tant défaut.

 

Je vous remercie pour votre attention et j'espère que les dirigeants européens, dont vous faites partie, saisiront cette chance historique.