Intervention d'Elio Di Rupo sur le Brexit

Monsieur le président, monsieur le premier ministre, chers collègues, personne ne sait quand le processus du Brexit pourra débuter et, si on en croit le secrétaire d'État américain, personne ne sait si ce processus aura bien lieu. Ce qui nous importe aujourd'hui, c'est l'avenir des Européens, plus particulièrement l'avenir des citoyens de notre pays. Je connais trop les difficultés des négociations multilatérales pour croire que tout peut changer du jour au lendemain. Toutefois, le vote des Britanniques devrait réveiller les consciences. Les citoyens ont besoin d'une Europe dans laquelle ils peuvent croire, une Europe qui donne espoir, une Europe qui améliore concrètement leur vie quotidienne. Les citoyens veulent une Europe qui conduit des politiques ambitieuses d'investissements publics, qui soutient des services publics efficients, qui améliore les systèmes d'éducation, de recherche scientifique, de santé, d'échanges universitaires. Nous devons prendre acte de cette volonté des citoyens et faire du Brexit une opportunité pour construire une autre Europe. C'est à nous, responsables politiques des différents pays, de rendre notre Europe plus démocratique, plus sociale et plus proche des citoyens. À nous de faire émerger une Europe généreuse, ambitieuse et solidaire.

 

Le projet européen post-Brexit doit, selon moi, s'organiser autour de cinq priorités essentielles.

 

La première priorité, c'est que les pouvoirs publics doivent pouvoir investir dans les infrastructures, l'éducation, les nouvelles technologies de façon massive. Les montants des investissements productifs doivent être exclus du calcul du déficit des États membres.

 

Deuxième priorité, les progrès technologiques doivent bénéficier à chaque Européen. La stratégie numérique de la Commission est insuffisante à cet égard.

 

Nous devons stimuler et réguler sérieusement l'économie numérique. Nous devons l'empêcher de détricoter les droits sociaux des travailleurs. Nous devons aussi éviter qu'elle ne fragilise les protections des consommateurs.

 

La troisième priorité concerne l'Europe sociale. Appelée de leurs vœux par les citoyens, mais pas encore réalisée, c'est le moment de la concrétiser. Nous ne pouvons plus tolérer, et vous en conviendrez monsieur le premier ministre, le dumping social au sein de l'Union. Nous ne pouvons plus tolérer la concurrence déloyale qui se développe entre États membres de l'Union. Des mesures radicales sont indispensables. La lutte contre le dumping social, d'une part, et un salaire minimum européen, d'autre part, voilà deux priorités sociales pour l'Europe.

 

Par ailleurs, avec mes collègues du Parti Socialiste, je pense que nous devons exiger que la Commission européenne mette un terme aux négociations du TTIP. Ce projet est nuisible tant aux travailleurs qu'aux consommateurs, et pour les mêmes raisons, il faut dire non au CETA.

 

La quatrième priorité est l'environnement. C'est à l'échelon européen que doit se traiter la transition énergétique. Cette transition est fondamentale, vitale pour les générations futures. Je préconise l'adoption d'un véritable plan "énergie propre", qui donnerait un coup de fouet salutaire à la protection de la planète.

 

Enfin, l'Europe ne retrouvera ses lettres de noblesse qu'à condition que nos citoyens sentent bien qu'il y a une nouvelle justice fiscale et que la justice fiscale est une priorité européenne. À raison, les citoyens ne tolèrent plus les politiques laxistes vis-à-vis de l'évasion et de la fraude fiscale. Comme vous êtes présent, monsieur le ministre, je dois dire que, quand le ministre des Finances se montre réticent au Conseil européen sur une avancée en justice fiscale, nous trouvons que c'est quand même très compliqué et difficile. La Belgique doit être le pays qui revendique une action européenne ferme, l'adoption rapide de la taxe sur les transactions financières, une protection efficace contre la spéculation des marchés, des instruments performants de lutte contre la fraude fiscale.

 

Si j'ajoute à ces cinq priorités une politique de migration efficace et un renforcement de la zone euro, nous aurons une Europe capable de redonner de l'espoir aux citoyens et singulièrement aux plus jeunes d'entre eux.

 

Monsieur le premier ministre, permettez-moi de vous demander si vous partagez en partie ou totalement cette vision de l'Europe. Considérez-vous, comme mes collègues et moi-même du groupe socialiste, qu'il convient de profiter du momentum pour réorienter l'action européenne vers les citoyens?

 

Enfin, j'aimerais que vous me rassuriez sur un point qui me préoccupe. Le premier parti de votre gouvernement boit le thé à Londres avec l'anti-européen, Boris Johnson. Pouvez-vous me garantir, monsieur le premier ministre, que cette proximité entre la première formation politique de votre gouvernement et Boris Johnson n'influence pas la position que vous défendrez dorénavant à la table du Conseil européen?

Réponse de Charles Michel

Il s’agit d’un moment important et délicat dans l’histoire du projet européen.

 

Nous devons accepter la décision démocratique du peuple britannique. Néanmoins, ce choix résonne comme une claque pour ceux qui croient que le projet européen doit avoir un avenir.

 

Nous sommes confrontés à deux enjeux. Il s'agit d'élaborer une nouvelle relation entre l'Union européenne et la Grande-Bretagne mais aussi de déterminer l'avenir du projet européen et les conséquences du message britannique.

 

Le premier défi sera d’organiser l’avenir des relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Le Conseil européen a adressé un message clair: le nouveau gouvernement britannique doit faire parvenir le plus rapidement possible la notification inscrite à l’article 50.

 

Sans ce document, toute négociation, officielle ou officieuse, est impossible.

 

Nous avons tenté de convaincre David Cameron d'agir rapidement pour éviter l'insécurité et l'instabilité. David Cameron s'est engagé à avoir un successeur début septembre.

 

Je voudrais aussi rappeler la nécessité de rester unis à vingt-sept pour éviter le risque de désintégration et de démantèlement du projet européen.

 

Il est en outre impensable de pouvoir quitter l’Union européenne tout en continuant de bénéficier de tous ses avantages. Sans l’application de la libre circulation, l’accès au marché unique est impossible

 

Nous devrons jouer un rôle-clé afin de défendre nos intérêts économiques. Nous avons intérêt à ce que la Grande-Bretagne se porte bien sur les plans économique et politique. Nous n'avons rien à gagner à une instabilité ou à une insécurité en Grande-Bretagne. Dans le même temps, nous veillerons à protéger nos intérêts économiques et sociaux à l'intérieur du projet européen.

 

L'avenir du projet européen constitue le deuxième défi. Au Conseil européen, nous sommes systématiquement accaparés pour résoudre des crises économiques, humanitaires ou politiques.

 

Selon moi, nous devons au contraire nous mobiliser autour d’un projet européen porteur d’espérance et de valeurs et qui améliore le bien-être de nos concitoyens.

 

Très peu de temps après l'annonce du résultat, j'ai insisté pour qu'un conclave, une concertation politique avec les 27 puisse avoir lieu. Nous devons tirer les enseignements de ces événements mais également définir une perspective d'avenir.

 

Lors de la réunion du 16 septembre, nous devons démontrer que l'Europe constitue concrètement une valeur ajoutée pour ses citoyens.

 

L'un des premiers points sera la sécurité intérieure et extérieure. Frappés dramatiquement par le terrorisme, nous devons mieux coopérer dans le domaine de la sécurité et de l'échange d'informations.

 

Un deuxième point sera l'emploi et la croissance pour créer de la valeur et soutenir une stratégie forte en termes d'investissements stratégiques.

 

Les investissements stratégiques pour l’avenir peuvent avoir des retombées positives sur la croissance. Nous devons engager un dialogue politique ouvert à ce sujet. Je voudrais également citer le renforcement du marché intérieur, la création d’un marché unique des télécommunications et davantage d’engagements dans la foulée de la COP21.

 

Le développement des nouvelles technologies et l'investissement pour la transition énergétique offrent des perspectives tout en soutenant la croissance. Le dumping social est la pire des publicités pour l'Europe et fait le jeu des europhobes. J'espère que la lutte contre ce fléau fournira des résultats concrets au cours des prochains mois, comme c'est déjà le cas en Belgique.

 

Je voudrais me démarquer d’un message entendu sur certains bancs. Libérer l'initiative et l'échange des biens et des services a toujours conduit à plus de prospérité. Sous la précédente législature, un mandat a été donné par le gouvernement belge pour négocier le TTIP. Des études affirment que la Belgique serait le deuxième pays à en bénéficier le plus.

 

Cela créerait des emplois et financerait nos protections sociales. es modèles de fermeture économique et de repli étatique s'effondrent l'un après l'autre.

 

Pour les générations précédentes qui ont encore été confrontées directement ou indirectement à la Seconde Guerre mondiale, la valeur ajoutée de l'engagement européen ne faisait aucun doute.

 

Les belligérants d’hier ont décidé de construire ensemble un espace de paix, de sécurité, de tolérance et d'ouverture. Nous devons préserver cette valeur ajoutée fondamentale du projet européen.

 

Le moment est venu d’avoir un projet politique proche des préoccupations des citoyens, sans emphase mais avec réalisme. Il faut envisager concrètement à court, moyen et long terme les résultats à engranger dans les domaines touchant au quotidien de la population.

 

Finissons-en avec l'Europe des crises et des replis. Au contraire, portons une Europe des projets. N’alimentons ni les caricatures ni les médisances sur le projet européen mais voyons avec objectivité sa valeur ajoutée.

 

Le gouvernement belge veut être un acteur-clé de l'avenir de la relation entre l'Europe et la Grande-Bretagne et de la relance d'un projet porteur de valeurs, d'espoir et d'engagements.

Réplique d'Elio Di Rupo

Monsieur le président, chers collègues, monsieur le premier ministre, je vous ai entendu, mais vous avez évité soigneusement d'évoquer cette question: y a-t-il, oui ou non, un point de vue partagé au sein de votre gouvernement? Pour vous, c'est oui. Tant mieux. Et vous serez même soutenu. Mais force est de constater que nombre de déclarations vont dans un sens différent. Admettons, et souhaitons que nous puissions avoir une parole et une direction de notre pays, avec un large consensus et une unité au sein de votre gouvernement.

 

Pour ce qui concerne la relation avec le Royaume-Uni, connaissant la manière de négocier du Royaume-Uni, il est clair que nous ne pouvons pas laisser traîner dans le temps. J'espère vraiment que si Brexit il y a, l'appel à l'article 50 soit très rapide. Vous savez que parmi vos collègues, tout le monde ne partage ce souhait de rapidité.

 

Quant à l'Europe des vingt-sept, vous l'avez dit, la priorité, c'est l'emploi et les jeunes. Je pense qu'il existe dans les traités actuels suffisamment de flexibilité, si on voulait les utiliser, pour mettre en œuvre des plans d'investissements importants dans tous les domaines productifs, éducatifs et des nouvelles technologies.

 

Je pense également, et c'est là où une différence et une difficulté existent, que nous devons résoudre le problème du dumping social. Les citoyens, et notamment les citoyens de notre pays, ne peuvent pas supporter de voir des emplois chez nous être détruits alors que des personnes venues d'ailleurs perçoivent des salaires de l'ordre de 3 à 5 euros de l'heure. C'est absolument impossible.

 

L'harmonisation fiscale, la concurrence entre les pays européens est aussi un handicap important. Je ne partage pas votre point de vue sur le TTIP et votre petit mot: "Libérez les initiatives". Mais, monsieur le ministre, qui dans cette assemblée n'est pas pour "libérer les initiatives"? Quelqu'un est-il opposé à "libérer les initiatives"? (Brouhaha)

 

Libérer les initiatives. Bien entendu, nous avons accordé un mandat, mais ce n'est pas une raison pour abdiquer. Croyez-moi, les analyses que nous avons faites pour le TTIP et le CETA vont dans le sens contraire de ce que vous avez indiqué.

 

Enfin, un tout dernier mot. M. Miller en a fait état: je pense vraiment qu'au sein de la zone euro, la zone des dix-neuf pays ayant l'euro en commun, des pas supplémentaires doivent être accomplis. Cela doit faire partie du paquet et de l'évolution de l'Union européenne, une évolution concentrique de l'Union européenne. Je sais que c'est difficile et que rien n'est simple mais pourtant, il m'apparaît normal que nous, qui avons la monnaie en commun, puissions avoir un système avec un approfondissement, une plus grande harmonisation à la fois fiscale et sociale de notre système. Notre travail est de faire en sorte que l'Europe se fasse aimer des Européens.