Question d'Elio Di Rupo à Charles Michel, Premier ministre, sur la situation sociale en Belgique

Monsieur le président, monsieur le premier ministre, face à toute situation de crise, il existe deux manières de réagir, soit se draper dans ses certitudes, comme le font ceux qui appellent en pleine grève à la privatisation des chemins de fer, soit se souvenir; se souvenir que notre pays a été construit sur la base de la concertation sociale permanente et ce, dans le respect mutuel; se souvenir que notre pays est devenu la quinzième puissance économique du monde, grâce à l'effort de tous ses citoyens, dont des millions de travailleurs; se souvenir que notre pays avait réussi, jusqu'à il y a peu, à traverser la crise économique et financière, sans accroître les inégalités et en préservant au maximum le pouvoir d'achat des citoyens; se souvenir que les services publics sont le bien de chacun de nos citoyens et qu'il convient de les protéger et de les renforcer.

 

Bien entendu, se souvenir de tout cela ne fera pas oublier le saut d'index, le passage à 67 ans de l'âge de la pension, l'augmentation de la TVA sur l'électricité ou les économies en soins de santé, autant de mesures injustes qui sont infligées aux citoyens de notre pays quand, en même temps, certains ont les moyens de tricher et de ne pas contribuer à la collectivité.

 

Je condamne, monsieur le premier ministre, comme vous, chaque acte de violence, chaque attaque à l'intégrité physique et chaque démarche outrancière qui visent les personnes et non les idées. Mais comment ne pas comprendre la colère et le sentiment d'injustice que vivent de plus en plus de citoyens?

 

Ensemble, rappelons au monde que le modèle belge, c'est réussir à rassembler des communautés d'avis et d'opinions différentes! Ce n'est pas un aveu de faiblesse que de faire un pas dans la voie du dialogue sur le chemin du compromis. Le courage politique, c'est confronter ses certitudes à la réalité de la vie des citoyens. Le courage politique, c'est quitter le discours qui prétend que, pour sortir de la crise, il n'y a pas d'alternative à votre politique d'austérité. Récemment encore, le Fonds monétaire international indiquait: "L'accroissement des inégalités amenuise le niveau de vitalité de la croissance".

 

Aujourd'hui, la réalité vous commande, monsieur le premier ministre, de vous hisser au-dessus de la mêlée tout en vous impliquant davantage dans la résolution des conflits. Aujourd'hui, deux voies sont possibles: persister dans l'affrontement ou choisir l'apaisement et ouvrir un réel dialogue. J'appelle chaque partie de ce conflit social à faire un pas. Quel est votre pas, monsieur le premier ministre?

Réponse de Charles Michel

Monsieur le président, chers collègues, je souhaiterais réagir aux différentes remarques qui ont été exprimées par des arguments et je tenterai de le faire avec calme et sérénité. Je pense que la démocratie parlementaire justifie cette capacité de s'entendre mutuellement et d'apporter des réponses aux interpellations des uns et des autres. Le premier point que je veux indiquer est le suivant.

Nous sommes conscients que les réformes inspirent une certaine inquiétude à une partie de la population. Nous sommes attentifs à ces réactions. Je suis également conscient qu'il est capital de bien expliciter les objectifs du gouvernement.

 

C’est évidemment un point important: s’écouter mutuellement et dialoguer.

 

De la même manière, je veux indiquer une fois encore, comme je l’ai déjà fait ici, que nous reconnaissons le droit de grève. Mais nous sommes confrontés aujourd’hui à des grèves sauvages et à un abus de ce droit. En effet, le droit de grève est limité par la liberté de celui qui ne fait pas grève, de circuler, d’étudier ou de se déplacer.

 

Je veux aussi indiquer, comme certains l’ont fait dans la majorité et également dans l’opposition – et je les en remercie –, que, pour ce gouvernement et, je l’espère, pour une part significative de ce parlement, il n’est pas acceptable que le droit de grève soit détourné par des actes de violence. Quand on saccage des ministères ou les infrastructures de la SNCB, et que l’on met donc en danger la sécurité des usagers, quand on commet des actes aussi violents, il y a une responsabilité individuelle.

Je déplore également le spectacle auquel nous assistons dans cet hémicycle. Il est permis de ne pas partager une stratégie ni les moyens mis en œuvre pour la concrétiser, mais il faut néanmoins être conscient de la réalité.

 

Oui, nous avons pris, il y a quelques mois déjà, des décisions difficiles. Ce n'était pas simple et c'est de notre responsabilité d'expliquer le sens de ces décisions. Mais je veux constater avec vous et personne ne peut le contester ici, s'il est quelques instants de bonne foi: le nombre de faillites a diminué de manière spectaculaire. Hier, l'Institut des comptes nationaux - pas le gouvernement - a annoncé 65 000 emplois créés les derniers mois.

 

Monsieur Laaouej, ce que vous dites est faux, et je vais répondre à cela. Le Bureau du Plan annonçait 65 000 emplois avec un bémol significatif. Le Bureau du Plan prévoyait une croissance économique supérieure à celle que l'on connaît, et il reste trois trimestres jusqu'à la fin 2016. Il y a 65 000 emplois qui ont déjà été créés aujourd'hui! C'est cela, la réalité!

 

Cela s'appelle un flagrant délit de désinformation. Et ce cocktail désinformation plus caricature nourrit l'angoisse de nos concitoyens!

M. Nollet et Mme Fonck demandent à juste titre comment nous comptons rétablir la sérénité. Nous continuerons simplement à œuvrer pour une concertation sociale positive et constructive. Ce soir, M. Peeters va par exemple rencontrer les organisations syndicales pour discuter de la modernisation du marché du travail. Le gouvernement a fait une série de choix politiques, mais au mois de juillet, le Conseil des ministres examinera comment nous pouvons incorporer des propositions constructives avancées par les partenaires sociaux. La réforme des pensions est un autre exemple qui illustre la disponibilité du gouvernement à corriger et à améliorer les décisions prises: le ministre Bacquelaine étudiera avec les partenaires sociaux comment mettre en œuvre notre décision–qui est effectivement une décision de principe–dans le respect de la concertation. De même, la ministre De Block consulte quotidiennement des représentants du secteur de la santé, de sorte à prendre les meilleures décisions possibles.

Je réponds donc aux interpellations qui sont faites. Nous sommes mobilisés à 1 000 % pour continuer le travail, pour continuer à mettre en œuvre les réformes qui sont indispensables. Nous sommes mobilisés à 100 % pour donner une vraie chance à la concertation sociale d'améliorer nos décisions. Nous plaidons pour la responsabilité de chacun des partenaires sociaux qui doivent participer aussi à cet effort. Nous condamnons les violences. Nous condamnons les dérapages. Nous appelons à la sérénité. Nous appelons à éviter l'escalade. Cela va de soi.

 

En un mot, je veux le dire avec beaucoup de calme et de sérénité: ce gouvernement a fixé un cap. Nous savons où nous voulons aller. Je répète encore une fois, comme je le répéterai encore souvent, qu'il y a de l'espace pour les partenaires sociaux autour d'une table pour engager ces réformes et faire en sorte qu'elles produisent des résultats. C'est un gouvernement qui sait où il va. C'est un gouvernement qui est authentiquement social, pas avec des slogans, avec des décisions pour créer de l'emploi et garantir le financement des solidarités!

Réplique d'Elio Di Rupo

Monsieur le président, monsieur le premier ministre, on peut entendre les chiffres que vous avez cités mais toujours est-il qu'actuellement, la croissance économique de notre pays est inférieure à la moyenne de la zone euro. Quand vous aurez retrouvé une croissance économique supérieure à cette dernière, nous pourrons à nouveau discuter.

 

Mais pour revenir au sujet qui nous intéresse aujourd'hui, il est quelque peu décevant de constater que vous appelez à la sérénité sans faire un pas, sans prendre d'initiative.

 

Pour ce qui me concerne, j'ai plaidé pour que chacun fasse un pas, tant du côté des syndicats que de votre côté. Nous attendons vraiment que vous agissiez, que vous preniez une initiative concrète. Faire semblant que la situation n'est pas dégradée et que nous ne sommes pas proches de la rupture sociale, c'est véritablement ignorer la réalité.

 

Monsieur le premier ministre, comme je l'ai dit lors de mon intervention, je plaide vraiment pour que l'on retrouve le calme. Mais par la manière dont vous agissez, dont vous répondez, vous attisez, en fait, une contestation que l'on voit au Sud et au Centre du pays, mais que vous verrez aussi au Nord du pays.

 

De grâce, je vous adjure: assumez votre fonction de premier ministre, prenez des initiatives, et retrouvons ensemble la sérénité!