Question de Laurette Onkelinx à Charles Michel, Premier ministre, sur l'état de la Justice

Monsieur le président, monsieur le premier ministre, je ne tomberai évidemment pas dans l'irresponsabilité en disant que tout ce que vous faites est mauvais par essence. Ce serait stupide. Mais la situation générale du pays, qui se déglingue, est largement en lien avec vos choix d'austérité, qui touchent d'abord et avant tout les services de l'État.

 

Ces choix ont pour conséquence une protestation générale, mais aussi et surtout le constat d'un État qui s'évapore. L'exemple le plus significatif est la situation du troisième pouvoir de l'État. Gérer la Justice, ce n'est pas gérer un département. C'est dialoguer et construire avec un pouvoir sans lequel il n'y aurait pas de démocratie. L'appel des magistrats, greffiers, secrétaires, des avocats et des associations est pressant, ulcéré et combatif. Il concerne l'ensemble du gouvernement. À quand un sommet du gouvernement sur la Justice de ce pays?

 

Vous avez un grand problème. Des réformes qui s'agglutinent sans véritablement impliquer les acteurs de terrain. Des réductions de personnel qui empêchent de rendre la justice sereinement. Des économies sur le matériel déjà si obsolète. Un accès à la justice de plus en plus difficile pour le plus défavorisés de nos concitoyens. Vous devez arrêter le jeu de massacre.

 

Au niveau budgétaire, j'espère bien que vous allez refuser, dans le cadre de la prudence budgétaire, de nouvelles économies en 2016. Mais, beaucoup plus, allez-vous renouer le dialogue et la confiance en excluant pour 2017 et 2018 de nouvelles économies que vous avez planifiées et en acceptant de reprendre le rattrapage budgétaire positif?

 

Au niveau du personnel, allez-vous relancer les réserves de recrutement, prendre des mesures pour rendre les fonctions attractives, permettre d'engager sous contrat à long terme du personnel en attendant le long processus de nomination?

 

Au niveau matériel, allez-vous réinvestir, parce que le quotidien de nos agents, ce sont des photocopieuses qui ne fonctionnent pas, des scannings impossibles et des ordinateurs dépassés? À quand une priorité non pas à une ixième réforme mais à une gestion honnête et ambitieuse de notre Justice?

 

Monsieur le premier ministre, à quand un chef de gouvernement qui s'impose pour sortir le pays de cette déliquescence qui le mine?

Réponse de Charles Michel

Monsieur le président, chers collègues, permettez-moi de réagir aux questions posées en abordant d'abord la question des prisons. Cette question a été débattue dans cette enceinte la semaine passée et il est important que le gouvernement rende compte de l'état d'avancement de nos efforts sur ce sujet.

 

Nous avons donné à M. Geens un mandat supplémentaire relatif à quelques points concrets. J'avais évoqué cette volonté la semaine passée.

 

Vendredi matin, nous avons validé un plan d'investissement pour améliorer les infrastructures – le Masterplan "Prisons". C'est un engagement de long terme. Le gouvernement s'est fortement mobilisé autour de ce projet. Nous avons aussi délivré le mandat visant à élaborer davantage et plus vite encore des mesures destinées à lutter contre la surpopulation carcérale. Certains ont rappelé, la semaine dernière, les progrès enregistrés en quelques mois, puisque la surpopulation a baissé de manière significative. Nous avons demandé au ministre de continuer à travailler à un statut particulier pour le personnel des prisons et de voir comment améliorer et objectiver les recrutements.

 

D'emblée, je veux vous dire clairement que nous mesurons heure par heure avec le ministre de la Justice le caractère difficile et délicat de la situation. Je tiens à profiter formellement et solennellement de ce moment au parlement pour remercier au nom du gouvernement les directeurs de prisons, les policiers, les militaires, les pompiers, les agents au travail, tous ceux qui se mobilisent pour tenter de garantir de l'humanité dans nos prisons et de respecter la dignité minimale des détenus. Qu'ils en soient formellement remerciés! (Applaudissements)

 

Nous avons eu des discussions avec le ministre de la Justice au cours des dernières heures. Il a une nouvelle fois rencontré les syndicats hier soir. Ce matin, de nouvelles propositions ont fait l'objet d'une concertation en cabinet restreint. Le ministre de la Justice les présentera ce soir aux syndicats.

 

Je veux ainsi vous montrer que nous avons tout mis en œuvre pour maintenir sans relâche une capacité de mettre en œuvre les réformes, d'optimaliser et de dialoguer pour voir de quelle manière nous pouvons réussir à améliorer les propositions, à faire en sorte de pouvoir retrouver le plus vite possible, car cela a assez duré, de la sérénité, du calme, de la stabilité dans l'ensemble des prisons. C'est l'engagement sur lequel nous souhaitons travailler avec les syndicats et nous espérons qu'il sera possible de progresser dans les prochaines heures.

 

J'en viens maintenant aux déclarations qui ont été exprimées, dont certaines ont été relayées par des collègues au départ de magistrats. La Justice, c'est une évidence, est un pouvoir constitué et c'est aussi un service public, qui doit être pleinement respecté. La séparation des pouvoirs, ou plus exactement l'équilibre entre les pouvoirs, des poids et des contre-poids mutuels selon la théorie de Montesquieu, est un des fondamentaux de l'État de droit, de la démocratie. Il faut donc, et ce n'est pas moi qui le dit, ce sont certains magistrats qui ont beaucoup théorisé à juste titre par rapport à cela, réussir à conjuguer la liberté d'opinion, la liberté d'expression de chaque citoyen, et des magistrats aussi, avec le devoir de réserve, qui est un gage pour l'indépendance de la Justice, condition sine qua non dans un État de droit. Mais il n'y a pas que l'indépendance, il y a aussi l'apparence de l'indépendance! Pourquoi? Parce que c'est le gage de la confiance des citoyens dans l'institution judiciaire!

 

Je veux être extrêmement clair, il appartient à chaque magistrat d'apprécier dans sa responsabilité comment il réussit à conjuguer ce devoir de réserve avec le souci d'indépendance de la Justice. Je veux dire, sur le fond, qu'à mes yeux, la Belgique n'est pas un failed State, la Belgique n'est pas un État voyou, la Belgique est une grande démocratie et un État de droit!

 

L'avenir de notre démocratie ne peut se concevoir sans un avenir serein pour la Justice. Si je respecte les divers points de vue exprimés par la majorité et l'opposition en matière de justice, je voudrais aussi rappeler une vérité fondamentale.

 

Une des premières décisions concrètes de la Justice a été pour ce gouvernement d'apurer 160 millions d'euros de dettes du passé, responsabilité collective des membres de l'ancien gouvernement. Une dette de 160 millions d'euros a été apurée! (Applaudissements)

 

Deuxième vérité. Nous examinons les chiffres des dépenses publiques pour la justice en Belgique par comparaison à la situation européenne. Je constate, vu les montants consacrés par habitant, que l'on se trouve plutôt bien placé par rapport à la moyenne européenne. Si je prends le nombre de magistrats et que je le compare par rapport à la moyenne européenne, je constate que, proportionnellement, nous avons un nombre de magistrats qui nous place convenablement par rapport à la moyenne européenne

 

Par contre, notre souci, notre préoccupation est de poursuivre le dialogue pour réformer avec les acteurs de la Justice. Nous voulons poursuivre ce dialogue quoi qu'il arrive et maintenir ce cap. Dans ce cadre, un point est important. Peu l'ont mentionné.

La législation relative à l’autonomie a été adoptée par la Chambre en 2014. Aujourd’hui,il a été demandé au gouvernement et aux acteurs de la Justice comment réaliser cette autonomie.Ces derniers mois et semaines, le ministre de la Justice a mené un dialogue approfondi avec les acteurs de la Justice pour obtenir des résultats.

 

Je suis assez clair à ce sujet. Oui à plus d'autonomie et donc à plus de responsabilité pour organiser le fonctionnement de la justice dans une perspective d'indépendance. Mais plus d'autonomie, cela ne signifie pas l'absence totale de contrôles. Plus d'autonomie, cela ne veut pas dire donner un chèque en blanc. Un bourgmestre doit rendre des comptes au conseil communal de sa commune, à son receveur communal en matière budgétaire. Un ministre doit rendre des comptes à l'inspecteur des Finances, à la Cour des comptes et au parlement. Selon Montesquieu, dans l'État de droit, dans cet engagement pour la démocratie, chacun doit accepter de trouver la juste place pour garantir ces valeurs fondamentales qui nous tiennent à cœur. Nous allons donc poursuivre le travail, poursuivre les réformes, poursuivre le dialogue. Ce n'est pas simple; c'est délicat; c'est difficile. Mais nous sommes extrêmement déterminés à faire la démonstration que nous somme à la hauteur de l'enjeu qui est face à nous.

Réplique de Laurette Onkelinx

Monsieur le premier ministre, monsieur le ministre, s'agissant des appels dont j'ai parlé et émanant des magistrats, greffiers, secrétaires, des avocats, des associations, je n'ai entendu aucune réponse concrète. Ils ont pris l'habitude de dialoguer avec le ministre de la Justice à l'aide d'un décodeur. Quand ce dernier dit: "Ma porte est toujours ouverte", cela signifie: "Vous pouvez toujours parler; rien ne changera". Quand il dit: "Nous devons perpétuer la confiance", il faut entendre: "Laissez-moi faire. Je suis celui qui sait". Ou encore: "Je fais mon possible, mais je dois bien respecter l'accord de gouvernement", cela veut dire: "Je suis un exécutant. Allez voir ailleurs".

 

Maintenant, ils doivent s'habituer à la réponse d'un premier ministre qui, véritablement, les abandonne, qui n'a ouvert aucune porte et qui s'est contenté de dire: "Oui, il y a une certaine misère, mais je vous donne l'autonomie pour la gérer". Cela ne va pas! On comprend mieux, monsieur le premier ministre, ce que vous avez déclaré pendant des années au sujet des services publics, justifiant votre volonté libérale d'en diminuer les moyens. Vous disiez: "Il faut faire la chasse au gaspillage". Comme si investir dans la justice, la sécurité et le pénitentiaire, c'était du gaspillage! À force de vous cacher derrière des discours grandiloquents, vous participez à l'œuvre de démantèlement du pays. Je le dis: votre responsabilité personnelle est engagée!