Question d'Ozlem Ozen à Koen Geens, ministre de la Justice, sur la grève dans les prisons

Monsieur le premier ministre, cela fait trois semaines que la situation se dégrade, que le chaos perdure dans nos prisons. Monsieur le ministre de la Justice, vous avez appelé au secours le premier ministre, jusque là totalement absent dans cette crise. Au même endroit, on nous avait rassurés. On nous avait dit qu'un accord était sur le point d'être conclu, qu'une solution allait aboutir. Pourtant, on constate aujourd'hui que rien n'a changé. Pire, la grève se durcit davantage. Désormais, il faut comptabiliser un mort. Je ne vous tiens pas pour responsable mais une personne est décédée dans une prison en grève. Il faut également comptabiliser des violences que je ne cautionne certainement pas, mais le recours à la violence démontre le ras-le-bol général d'un secteur qui est en souffrance.

 

Il faut aussi comptabiliser des dizaines de plaintes de la part de détenus. On parle même d'une action collective pour dénoncer les conditions de vie inhumaines et indécentes. Si la Belgique est aujourd'hui qualifiée d'État défaillant, c'est la conséquence de votre politique et non la faute des grévistes, monsieur le premier ministre. Votre plan d'économies ne permet pas d'exercer son métier dans des conditions de travail dignes ni de mener une politique carcérale digne d'un État de droit.

 

Le désinvestissement de ce gouvernement dans les services publics doit cesser, de même que cette crise humanitaire a assez duré. Vous avez dit la semaine dernière avoir reçu un nouveau mandat. Que proposez-vous aux agents? Comptez-vous stopper cette réduction d'effectifs et revenir à celui de 2014? Où en sont les négociations? Quand allez-vous trouver une solution puisque la situation se détériore? Enfin, vous qui êtes si favorable à une politique managériale, ne pensez-vous pas que les astreintes obtenues par les détenus sont de l'argent gaspillé qui pourrait être plus utilement investi dans le cadre, dans le statut des agents et dans les infrastructures pénitentiaires?

 

D'avance, je vous remercie pour votre réponse.

Réponse de Koen Geens

Une politique bien réfléchie, qui dépasse les oppositions, est source d'un avenir durable. Je ne veux pas polémiquer. Je n’ai jamais fait de déclarations prématurées concernant la situation de mon département. Ceux qui affirment qu’un seul ministre, un seul gouvernement ou un seul premier ministre porte la responsabilité de l’état dans lequel se trouvent les prisons ou la justice en général savent qu’ils ne disent pas la vérité.

 

À l’époque, j’avais beaucoup apprécié que la majorité et l’opposition se montrent prêts à mener une réflexion sur mon plan Justice en dépassant les clivages qui les opposent. J'ai apprécié, Mme Onkelinx, qu’à maintes reprises nous ayons obtenu l'unanimité en commission de la Justice. Vous n'étiez pas toujours là, et M. Van Hees non plus.

 

Le plan Justice est un plan en trois phases. La première s’inscrit dans la continuité des travaux de mes prédécesseurs. Par rapport au rattrapage des arriérés, une étude Graydon, parue cette semaine, dit que la Justice est un des meilleurs payeurs du royaume. J'en viens à l'autonomie de gestion et à la question de M. Goffin Je cherche constamment à mettre en oeuvre, en concertation avec la magistrature, l'autonomie que l'ancienne ministre Mme Turtelboom a inscrite dans la loi de 2014. Les priorités sont fixées en concertation avec les collèges de la magistrature. La priorité va aujourd'hui aux nominations.

 

Depuis mon entrée en fonction, 421 offres d'emplois ont été annoncées, plus de 200 postes ont été pourvus et 80 attendent toujours preneur. Un certain nombre d'emplois ont à nouveau été déclarés vacants. Après la continuité, vient la deuxième étape du triple saut. Il se pourrait, M. Nollet, que ces pots -pourris aient réduit la charge de travail, le nombre d’oppositions,  d'appels et d'affaires d'assises. C'est ce que la magistrature m'a demandé. Je n'ai jamais introduit de proposition sans consultation préalable. Si vous trouvez que ce n’est pas au ministre de décider des projets de lois, il vaut mieux ne plus avoir de ministre!

 

J'ai également toujours affirmé que je m'occuperai s de la législation de base. J'ai manqué, par la force des choses, le second examen des auditions concernant le premier tomedu Code de procédure pénale mais cet examen a bien eu lieu et il a vivement intéressé tous les groupes. Cette troisième étape, je compte aussi la réaliser.

 

Nous avons déjà parlé assez longuement de la séparation des pouvoirs. En ma qualité de ministre, je suis prêt à encaisser et même à tendre l’autre joue mais il est bon, monsieur Delpérée, qu’un ministre de la Justice souligne de temps à autre qu’il est parfois préférable de se taire. Je m’efforce de me tromper le moins possible et, dans le cas contraire, je présente des excuses.

 

Je ne cesse de dialoguer avec les magistrats. Je n’accepte dès lors pas l’accusation selon laquelle je maintiendrais des changements contre leur volonté. Il est vrai, en revanche, qu’une certaine disposition au changement est indispensable en vue d’accroître l’efficacité et l’efficience. Nous devons mieux répartir les moyens: c’est devenu aujourd’hui un élément incontournable. Lorsqu’il m’arrive de prendre une mauvaise décision, je présente humblement mes excuses; toujours est -il que des décisions doivent être prises

 

Je remercie les directeurs de prison wallons, flamands et bruxellois qui font de leur mieux. Ils ont fait des choses pour lesquelles les prisonniers leur seront reconnaissants pour toujours. Je remercie aussi tous ceux qui ont pris soin de nos prisonniers. ’ai toujours répété que je réduirais la charge de travail des gardiens de prison. Eh bien, depuis mon entrée en fonction, le nombre de prisonniers a déjà diminué de 1000 (sur un total de 12000) et diminuera encore de 1 000 au cour s de cette année. Dès lors, je ne comprends pas pourquoi les magistrats affirment que ce nombre augmente de manière systématique.

 

En 2016, le ministre de la Régie des Bâtiments et moi investissons ensemble 56 millions d’euros dans la rénovation et la sécurisation des établissements pénitentiaires. De surcroît, nous réalisons des progrès considérables dans le cadre des négociations avec les syndicats. Ce matin, j'ai reçu une délégation chinoise au cabinet de la Justice. Le hall était nettoyé et le personnel était à son poste. C'est cela la résilience, c'est cela la justice! Et c'est la politique que je poursuivrai.

Réplique d'Ozlem Ozen

Monsieur le premier ministre, chers collègues, vous l'avez dit et répété à plusieurs reprises, la situation est extrêmement délicate, parce qu'inédite. En effet, 24 jours de grève en Belgique! On n'avait pas connu cela! Il faut vous montrer à la hauteur de cette situation inédite et constater que la Justice craque de partout et que les services publics réclament des moyens légitimes pour fonctionner efficacement. C'est tout ce qu'ils demandent!

 

Et je suis extrêmement déçue, parce que, depuis la semaine dernière, il n'y a absolument rien de nouveau. Vous me parlez d'investissements futurs, de masterplan, mais en quoi ces futurs masterplans, ces futurs investissements apporteront-ils une réponse au plan d'économie actuel et aux réductions d'effectifs que nous subissons?

 

Quelle solution allez-vous apporter à la situation qui se dégrade de jour en jour dans les prisons? Moi aussi, je tiens à remercier les directeurs pour le travail qu'ils fournissent. Ils sont de garde, dorment dans la prison pour contenir cette situation et éviter qu'elle n'explose. Qu'il s'agisse des agents, des militaires, des détenus aussi, tout le monde y participe.

 

Mais je peux vous affirmer également que, si une solution n'est pas trouvée dans les jours à venir, la situation va vraiment se dégrader. Nous avons déjà un mort, je tiens à le rappeler, sans vous faire porter le chapeau. Il faut absolument trouver une réponse et aujourd'hui, hélas, je n'ai obtenu aucune réponse satisfaisante de votre part.