Question d'Ozlem Ozen à Charles Michel, Premier ministre, sur la situation dans les prisons

Monsieur le président, monsieur le premier ministre, la situation est catastrophique et absolument inacceptable. Je me suis rendue en prison et j'y ai rencontré le personnel pénitentiaire, la police et l'armée qui, avec une conscience professionnelle inouïe, travaillent d'arrache-pied pour éviter le pire. J'ai également eu l'occasion de m'entretenir avec des détenus, ils sont tous à bout. Pas plus tard qu'hier, M. Elio Di Rupo a reçu une centaine d'agents issus de l'ensemble des syndicats. Le constat est identique: ces gens se trouvent dans le désarroi le plus profond et la situation est invivable. Vous faites subir à des êtres humains ce qu'on ne ferait pas endurer à des animaux.

 

Cette situation désastreuse dans nos prisons est la conséquence de votre politique irresponsable. Vous imposez l'austérité aveugle en réduisant les effectifs dans les services publics. Les agents travaillent dans des conditions extrêmement difficiles. On leur impose toujours plus de missions avec moins de moyens et moins de personnel. Que dire des détenus qui vivent dans des conditions inhumaines et dégradantes, indignes d'une société civilisée du XXIe siècle? Ces conditions s'apparentent à de la torture: presque plus de douche, plus de contact avec leur famille, plus de préau, confinement dans neuf mètres carrés à plusieurs dans des conditions sanitaires abominables.

 

Face à cette situation, que fait le gouvernement? Il envoie l'armée dans nos prisons. C'est inadmissible! L'armée est déjà limitée dans ses moyens matériels et humains. Depuis ces derniers mois, elle est mise à toutes les sauces Ce n'est pas son rôle que de surveiller les prisons. Cela montre aussi à quel point votre gouvernement méprise les services publics, à quel point votre gouvernement méprise la concertation sociale.

 

Le monde carcéral est évidemment victime de ce désinvestissement dans le secteur public puisque vous en réduisez l'investissement et pratiquez une politique d'assèchement de l'ensemble des services publics du pays. Pourtant, monsieur le premier ministre, la solution est sous vos yeux: avec des taux d'intérêts historiquement bas, réinvestissons dans le secteur public puisqu'il est le cœur même de l'État!

 

Monsieur le premier ministre, comment justifiez-vous la réquisition de l'armée dans les prisons sans régler la question fondamentale des moyens alloués au milieu carcéral? Quelles solutions apporterez-vous aux agents? Que mettrez-vous en place pour garantir des conditions de détention humaines?

Réponse de Charles Michel

Sans faire le procès du passé, la situation dans les prisons est tendue depuis des années. La dégradation n’est pas soudaine. La Belgique a souvent été condamnée par des juridictions nationales et internationales.

 

L'accord de gouvernement a d'emblée prévu un dialogue de qualité avec les représentants du secteur pénitentiaire, concrétisé par un protocole d'accord en décembre 2014. Il vise à améliorer l’utilisation de l'argent public ainsi que le sort des détenus et les conditions de travail.

 

Nous vivons des moments difficiles depuis plusieurs semaines. Nous assumons clairement nos responsabilités. Le mandat de négociation confié par le cabinet restreint le vendredi 6 mai est clair. Le 8 mai, le ministre de la Justice et les représentants syndicaux ont convenu d'un protocole, qui a été pleinement approuvé par le gouvernement Mais durant le week-end, les responsables syndicaux ont été désavoués par la base en Wallonie et à Bruxelles. Je le regrette.

 

Nous avons pris nos responsabilités en mobilisant l'armée dès lors que des piquets bloquaient l'accès à certaines prisons et empêchaient d'assurer les droits fondamentaux des détenus. En 2013, un chef de groupe du parti socialiste, bourgmestre d'Andenne, le proposait déjà dans un cas similaire.

 

Nous le faisons aujourd'hui temporairement en espérant que le plus vite possible, la situation des prisons revienne à la normale Nous avons décidé d’accorder un mandat complémentaire au ministre de la Justice, en prenant en compte les remarques pertinentes sur l'importance d'une stratégie pénitentiaire à court, à moyen et à long terme. Même s’il y a progrès, nous continuerons à lutter contre la surpopulation carcérale mais aussi à améliorer les infrastructures grâce aux investissements pour la sécurité du Masterplan prisons. La task force , regroupant l'ensemble des acteurs, envisagera la concrétisation des investissements.

 

Je dois malheureusement constater que notre pays est l'un des derniers en Europe à ne pas avoir mis en place de service garanti dans les prisons. Il est absolument indispensable de nous y atteler. Enfin, nous analyserons les recrutements au regard du cadre, du taux d'occupation mais aussi de l'absentéisme, afin de déterminer une stratégie préventive.

 

Nous prenons la situation au sérieux et continuerons à agir. Chacun doit prendre ses responsabilités. Notre main reste tendue et j'appelle tous les acteurs à retrouver le plus rapidement possible le chemin du dialogue et du travail pour respecter le droit des détenus et donner à notre pays une stratégie pénitentiaire digne.

Réplique d'Ozlem Ozen

Monsieur le président, je n'ai entendu aucune solution pour débloquer la situation qui dure depuis trois semaines. Je le dis et le répète, il faut avoir la force de vos convictions parce que l'austérité, c'est vous, le désinvestissement dans les services publics, c'est vous, les économies imposées à la Justice, c'est encore vous! Vous êtes le premier ministre de la Justice à n'avoir pas réussi à immuniser son budget.

 

On le dit depuis le début de cette législature. Avant de parler des autres problèmes, du personnel pénitentiaire etc., le problème fondamental, monsieur le premier ministre, c'est le problème du budget qu'on n'a pas réussi à obtenir pour la Justice. Et derrière cette austérité imposée, il y a des visages, des travailleurs, des agents, des détenus, leurs familles; il y a aussi des magistrats, des greffiers, des avocats qui dénoncent cette situation depuis longtemps sans être forcément socialistes.

 

Monsieur le premier ministre, je m'adresse à vous en tant que personne, en tant que libéral, protecteur des droits fondamentaux Je suis certaine que vous serez sensible à cette situation. Je vous demande de débloquer la situation et de mettre des moyens indispensables afin de ramener la dignité dans nos institutions.