Intervention d'Ozlem Ozen sur la réforme de la Justice pénale

Monsieur le président, monsieur le ministre, je ne vous cache pas que c'est avec un sentiment de déception que je vous fais part de ma crainte et de celle de mon groupe au sujet de ce projet poétiquement dénommé pot-pourri II.

 

Nous savons que notre système pénal est loi d'être parfait. Il a besoin d'un lifting. Pour le groupe PS aussi, la justice ne peut rester une institution figée. Elle doit oser se remettre en question, oser les évolutions pour être en phase avec les exigences d'une société qui a tellement changé et qui est en constante évolution. Mon parti a d'ailleurs soutenu quelques articles qui proposent des améliorations. Cependant, pour mener à bien ce projet d'envergure, il est indispensable d'avoir une vision d'ensemble et d'avoir une certaine cohérence. Or c'est là que le bât blesse! Aujourd'hui, nous sommes confrontés à deux initiatives parallèles. D'une part, M. le ministre a bien commencé puisqu'il a mandaté une commission d'experts pour mener une réflexion sur la réforme et la modernisation de notre système pénal. Alors que nous soutenions cette volonté d'y associer des professionnels de la justice, d'autre part, vous déposez en urgence le projet pot-pourri II, à l'examen aujourd'hui.

 

Monsieur le ministre, le paradoxe est que vous avez préféré foncer tête baissée, sans attendre les résultats des travaux de cette commission que vous aviez vous-même instituée. Or il apparaît dès à présent que certaines mesures du pot-pourri II risquent d'être en totale contradiction avec les conclusions de cette commission de réforme. C'est ce qu'on appelle mettre la charrue avant les bœufs. Il est donc regrettable que toutes ces réformes aient été traitées dans l'urgence et la précipitation. J'estime qu'un travail parlementaire digne de ce nom exige un temps de réflexion et des débats approfondis, ce qui a été rappelé à plusieurs reprises, même par certains membres la majorité. Malheureusement, je ne vois qu'une réforme bâclée, sans aucune vision, sans aucune réflexion qui soit cohérente à long terme et, qui plus est, aura un impact sur les droits fondamentaux de nos citoyens et des justiciables

 

Pourquoi cette précipitation? Pourquoi cette réforme bâclée? Tout simplement pour appliquer au plus vite les coupes budgétaires décidées par ce gouvernement. La seule finalité de cette réforme, étant donné que vous n'avez pas, monsieur le ministre, réussi à immuniser votre budget, le seul véritable objectif est celui de faire des économies.

 

Entre les belles intentions que vous nous aviez annoncées lors du Plan Justice, au moment de l'institution de ce gouvernement, et celles qui sont prises, notamment dans ce pot-pourri II, vous me donnez l'impression d'être un ministre comptable. Vous rationalisez, voire minimalisez. Et même si ce n'est pas critiquable en soi – j'admets qu'il faut parfois faire des économies -, ça ne peut pas tout justifier et surtout pas une réduction des droits des citoyens.

 

Malheureusement, en plus de générer des coûts, certaines mesures de ce pot-pourri II sont tout simplement inacceptables au regard des principes démocratiques qui fondent notre société.

 

Chers collègues, le système pénal d'un État est, à certains égards, un juste mais sévère reflet de son degré de civilisation. Particulièrement dans ce dossier, on constate que la marche vers le progrès n'est ni naturelle ni une évidence et les quelque 200 articles de ce pot-pourri soulèvent de nombreuses questions fondamentales, notamment liées au sens de la peine et à son individualisation, à l'indépendance du pouvoir judiciaire, au droit d'être jugé par ses pairs, au procès équitable, à la présomption d'innocence, à l'État de droit, à l'égalité des citoyens devant la loi, à la protection de la vie privée et même au droit de mener une vie de famille.

 

D'emblée, dès les premiers articles, le projet pose un choix aussi critiquable que symbolique car le gouvernement a décidé de supprimer virtuellement la cour d'assises, ce haut lieu de justice participative, un des derniers endroits où le citoyen est directement associé à l'exercice de la justice; un endroit où il peut contrôler la manière dont la justice est rendue et dont elle est effectivement exercée.

 

Ce qui contribue bien évidemment à renforcer la confiance que les citoyens peuvent avoir dans l'institution. Ici, on coupe ce lien avec le pouvoir judiciaire en mal de reconnaissance et de confiance.

 

D'un côté, on détricote la cour d'assises, on la vide largement de sa substance et, d'un autre côté, on accorde, on transfère ces lourds pouvoirs de sanction aux tribunaux correctionnels. Tout cela, de nouveau, avec un seul et unique argument qui revient en boucle: celui de faire des économies. Mais l'argument d'une cour d'assises qui coûterait trop cher ne fait pas l'unanimité puisque au fil des auditions les chiffres ont varié et n'ont jamais pu être objectivés, les uns affirmant souvent le contraire des autres.

 

Ensuite, les procès y seraient trop longs. Pourtant, la plupart des sessions d'assises ont une durée inférieure à 10 jours. Les durées les plus fréquentes oscillent entre quatre et huit jours. Un petit nombre de ces procès dure plus longtemps, allant de 30 à 40 jours. Selon Mme Gérard, ces procès seraient l'exception. Elle rappelle d'ailleurs que certains procès prennent dix fois plus de temps en correctionnelle qu'en assises. Elle cite l'affaire Aquino relative à un vaste trafic de drogue en Flandre qui aurait duré dix fois plus longtemps devant un tribunal correctionnel que s'il avait été plaidé devant les assises.

 

Attention, tous ces éléments ne signifient pas que le groupe PS, tout comme le reste de l'opposition, soit fermé à une discussion autour de la modernisation de la cour d'assises. La nécessité de la réformer est partagée par tous, monsieur le ministre. Mais il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Cette précision a toute son importance car notre système démocratique impose qu'une large majorité parlementaire s'accorde pour toucher aux assises. D'où l'importance de l'institution aux yeux du législateur.

 

Pourtant, cela a toute son importance puisque l'article 150 de notre Constitution crée un droit politique fondamental pour le citoyen. Le gouvernement et la majorité ont beau faire semblant d'oublier …

Ils ont beau faire semblant d'oublier que pour ce qui concerne les matières criminelles, le jury populaire est inscrit dans notre Constitution et qu'une loi quelle qu'elle soit ne peut "vider" l'article de la Constitution de sa portée. On en revient ici à un principe de droit qui est très simple, mais fondamental, à savoir le droit de la hiérarchie des normes. Ce principe enseigné en première année de droit est malheureusement contourné, bafoué

Je me souviens qu'en première candidature, l'un des premiers principes qui nous ont été enseignés a trait au respect de la hiérarchie des normes. Malheureusement, ce principe n'est pas respecté. Ce n'est plus un secret pour personne, la généralisation de la correctionnalisation des crimes supprimera, dans les faits, la cour d'assises.

 

Or, la Constitution impose non seulement que les crimes les plus graves soient soumis à un jury populaire, mais aussi que "nul ne peut être distrait, contre son gré, du juge que la loi lui assigne" (article 13). Autrement dit, le législateur ne peut s'exonérer de déterminer les crimes les plus graves. En l'occurrence, il est question du droit à un procès équitable, principe qui est également garanti par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

 

L'obligation de mener un large débat pour modifier ce fameux article 150 n'est donc pas qu'une formalité administrative superflue comme essaie de nous le faire croire la majorité. C'est un garde-fou qui protège nos droits fondamentaux.

 

Malheureusement, le gouvernement clôt prématurément la réflexion sur la cour d'assises, sans doute parce qu'il craint de ne pas réunir une majorité des deux tiers pour mener à bien le débat.

 

D'un côté, détricoter la cour d'assises et la vider de sa substance et, de l'autre, infliger des peines pouvant aller jusqu'à 40 ans de réclusion, c'est-à-dire dix années de plus qu'aujourd'hui. On passerait d'un jury populaire de douze personnes et trois magistrats à un tribunal correctionnel infligeant des peines pouvant aller de 30 à 40 ans, avec, parfois, un seul magistrat: merci, monsieur Brotcorne!

 

Je tiens à rappeler, chers collègues, que le maximum de la peine d'emprisonnement, prévu par la Cour pénale internationale pour des crimes de guerre et de génocide, est de 30 ans. Chez nous en Belgique, un tribunal correctionnel pourra infliger des peines allant au-delà, et jusqu'à 40 années, avec, parfois, un juge unique. Cette augmentation du taux des peines constitue évidemment un recul grave

 

Cette augmentation du taux des peines constitue évidemment un recul grave. Elle est fondée sur une idéologie répressive et digne, monsieur le ministre, du dix-neuvième siècle, voire de l'Ancien régime.

 

Vous disiez vouloir faire entrer notre justice, via un triple saut, dans le vingt-et-unième siècle. Vous avez raté le coche. C'était une occasion manquée. J'en suis sûre: il y aura un taux élevé de peines allant jusqu'à 40 ans. Enfermer une personne la moitié de sa vie, ou jusqu'à sa mort, revient à la rejeter définitivement de la communauté des êtres humains. Finalement, chers collègues, nous reviendrons à la même logique que celle qui a prévalu pour la peine de mort ou pour la mort civile. En cela, on nie un droit fondamental, celui qu'a chaque être humain d'aspirer à vivre librement, et celui de redonner un sens à sa vie.

                       

 

Cet emballement pénal n'a tout simplement aucun sens. Il ne s'agit pas d'un discours angélique ou d'un certain laxisme qu'on pourrait attribuer au Parti Socialiste. Un tel taux ne répond à aucun besoin, au contraire! Il risque de rendre la gestion des prisons et l'après-prison beaucoup plus compliqués. Aucune mise en balance avec un quelconque effet positif ne peut être faite, puisqu'on augmente la population carcérale. On augmente la violence qui va être induite par le désespoir et, en bout de course, on augmente l'insécurité au sein de nos prisons qui sont déjà surpeuplées.

 

Ce sont des événements qui arrivent de manière récurrente dans nos prisons: grèves des gardiens de prison, grèves du personnel pénitentiaire. On a diminué le cadre du personnel pénitentiaire, il y a des tensions, sans cesse des condamnations arrivent de Strasbourg pour des conditions inhumaines et dégradantes. Quand on n'a pas de personnel pour pouvoir faire sortir les détenus, ils restent dans une promiscuité qui est inadmissible pour la Belgique: ils sont à quatre dans dix mètres carrés. C'est inacceptable. Et tout cela va encore engendrer des problèmes dans nos prisons.

 

Je ne vous lance pas la pierre, monsieur le ministre. Nous savons qu'il s'agit d'un problème de longue date. Mais, avec les mesures reprises dans la loi "pot-pourri II", la surpopulation carcérale va encore augmenter. Nous allons fabriquer des êtres qui seront incapables de se réinsérer et qui seront prêts à retomber dans la criminalité.

 

Pour l'État, on augmente le coût qu'il faudra assumer dans le budget, puisqu'un détenu coûte 50 000 euros par an. Hier nous avons eu un débat sur les prisons au sein de la commission de la Justice, un débat intéressant que nous aurons l'occasion de poursuivre car le problème est récurrent. Nous avons près de 11 060 détenus en Belgique, ce qui, multiplié par 50 000, donne environ 553 millions d'euros comme budget.

 

Toutes les études le démontrent, tous les acteurs de terrain sont unanimes: de tels délais d'incarcération n'ont aucun effet dissuasif sur la commission d'un crime. Comment peut-on croire qu'un individu va abandonner ses ambitions, ses intentions criminelles parce que, subitement, la peine maximale qui pourra être infligée sera augmentée?

 

En commission, une vérité a constamment été réaffirmée au cours des auditions: ce n'est pas le niveau des peines qui dissuade le criminel, mais bien la certitude d'être puni. Pourtant, monsieur le ministre, la majorité est restée sourde à ces critiques et toutes ces évidences, notamment à l'appel du Conseil d'État, d'habitude très prudent, qui suggère sans équivoque de réduire le taux des peines maximales pouvant être infligées par des tribunaux correctionnels.

 

De plus, la logique répressive aveugle de ce projet ne se cantonne pas à une simple augmentation des peines. Elle est couplée à une méfiance à l'égard des juges, puisque ce gouvernement décide de supprimer systématiquement l'accès aux peines alternatives pour certaines infractions.

 

Une fois de plus, au-delà de l'effet négatif d'une telle mesure sur la population carcérale, le gouvernement déshumanise un peu plus la peine. À nouveau, je me vois contrainte de rappeler une évidence: de nos bancs, chers collègues, il nous est impossible d'envisager toutes les solutions particulières qui peuvent se présenter devant un juge. Autrement dit, il n'y a pas deux êtres humains identiques, parce qu'il n'y a pas deux êtres humains qui ont vécu la même vie.

 

Monsieur le ministre, vous voulez une justice "efficace", c'est un terme que vous utilisez souvent! Si on veut que notre justice pénale soit efficace, la peine doit pouvoir être adaptée par le juge à la personnalité du condamné, à son parcours, aux circonstances de la vie.

 

Prenons l'exemple d'un vol. Il y a la personne qui vole pour le plaisir, parce que cela lui procure une certaine excitation, une décharge d'adrénaline et il y a la personne qui vole pour manger; évidemment, il ne s'agit pas d'un vol pour lequel on applique systématiquement une loi. On prend en compte la personnalité, le parcours de vie de la personne pour adapter une peine. De la sorte, notre justice pénale revêtira un visage humain et sera encore mieux acceptée par les citoyens et la personne qui a commis l'infraction.

 

La peine doit être individualisée autant que possible. C'est extrêmement important. Pour cela, le juge doit disposer d'une large palette de mesures à imposer. Lui en retirer certaines qui paraissent trop indulgentes relève autant de la méfiance à son égard que, je vous l'ai dit, de la diversité des vies humaines et des trajectoires de vie. En outre, c'est une conception dépassée des mesures alternatives. En cela, le "pot-pourri II" constitue une régression flagrante par rapport aux évolutions que nous connaissons.

 

Chers collègues, je me permets de reprendre les mots de Françoise Tulkens, ancienne juge à la Cour européenne des droits de l'homme, qui résument bien ma pensée. Oui, magnifique femme! Ce n'est pas moi qui le dit ni le PS. En parlant des mesures alternatives, Mme Tulkens dit ceci: "Ni faveur, ni privilège, ni avantage, ni indulgence. Ces peines dites alternatives sont des mesures nécessaires et indispensables pour préparer la réinsertion du détenu et envisager la possibilité éventuelle de sa sortie dans de bonnes conditions."

 

Une justice humaine est une justice individualisée qui dépasse le caractère d'une application mécanique des textes.

 

Dans ce lot de mesures dépourvues de "Raison" avec un grand "R", le gouvernement a souhaité généraliser la prolongation des délais de prescription et confirme évidemment l'imprescriptibilité de certains crimes. Pourtant quoi qu'il s'imagine, il ne peut encore rien contre l'écoulement du temps et ne devrait pas refuser d'en tenir compte. En effet, tout le monde sait que, passé un certain délai, les preuves sont fragilisées et cela empêche les juges de dire la vérité judiciaire. Il y a une altération des souvenirs des témoins et, du coup, un accroissement du risque d'erreur judiciaire et une mise à mal des droits de la défense.

 

J'en reviens à ce fameux "pot-pourri I" que j'ai lu. Si ma mémoire est bonne, Me Mayence avait rendu un rapport écrit sur les délais de prescription et il disait qu'à un moment, la justice devait faire son œuvre et qu'il fallait savoir tirer les leçons d'un échec. Après un certain délai de réflexion, il fallait que la justice se fasse. Soit, elle s'est faite, soit, elle ne s'est pas faite.

 

Ces délais de prescription ont été augmentés dans le cadre de l'affaire des tueries du Brabant, mais Me Mayence a bien rappelé aussi que c'était parfois plus compliqué d'expliquer aux victimes qu'il n'y aura pas de peines effectives parce que le dossier n'a pas été jugé dans un délai raisonnable. Pour les victimes, c'est plus difficile à accepter.

 

Cet allongement se heurte au droit d'être jugé dans un délai raisonnable, principe consacré par la Convention européenne des droits de l'homme. Il y a donc vraiment lieu de craindre qu'en plus d'engorger encore un peu plus les tribunaux, cette disposition mène à l'absence de peines effectives, ce qui est parfois gravissime pour les victimes.

 

Il est une autre loi physique avec laquelle le gouvernement semble fâché, celle de Lavoisier: "rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme." Si le gouvernement s'était souvenu de ce principe, la mini-instruction n'aurait pas été élargie à la perquisition. Pourquoi? Parce que le fait de croire que décharger les juges d'instruction pour charger les procureurs générera des économies relève tout simplement de la science-fiction! Plus sérieusement, tout au long des discussions, la majorité a à nouveau semblé minimiser le traumatisme d'une perquisition. Or il existe vraiment peu de mesures d'instruction qui sont vécues comme autant attentatoires à la vie privée et à l'inviolabilité du domicile. Il est vraiment fondamental qu'une telle décision soit prise sérieusement et surtout pas à la légère, d'autant qu'elle concerne fréquemment des personnes totalement innocentes mais parentes, proches d'une personne suspecte et qui en subissent de manière collatérale les effets négatifs.

 

Mon propos n'est pas d'affirmer que les membres du parquet sont moins prudents que les juges d'instruction mais, en autorisant la perquisition via la mini-instruction, je rappelle qu'on dilue les responsabilités entre celui qui demande et l'exécute et celui qui l'autorise sans avoir à se justifier.

 

On le sait tous, plus il y a de responsables, moins on se sent responsable. Le juge d'instruction offre des garanties supplémentaires puisqu'il instruit à charge et à décharge et qu'il connaît le dossier. Il a le pouvoir d'opter pour d'autres moyens d'enquête qui seront moins intrusifs plutôt que de se limiter au choix binaire de la mini-instruction, laquelle  offre d'ailleurs moins de droits aux personnes concernées.

 

La perquisition via la mini-instruction n'est pas la seule mesure de ce pot-pourri II qui porte un sérieux coup à la vie privée du citoyen justiciable. Une telle réforme aurait dû être appréhendée dans le cadre d'une réforme globale de la procédure pénale, parce que, il ne faut pas se leurrer, on sait que ce qui se profile c'est la disparition du juge d'instruction avec pour corollaire une montée en puissance du parquet au stade de l'enquête. Tout comme la réforme ou la suppression virtuelle de la cour d'assises, cette évolution aurait également mérité des débats beaucoup plus approfondis.

 

En ce qui concerne les écoutes téléphoniques, jugées à juste titre très intrusives par le législateur en 1994, elles avaient été encadrées de garanties sanctionnées à peine de nullité, nullité que la majorité remet aujourd'hui en question. Je m'interroge également sur cette évolution. Pourquoi une conversation téléphonique relèverait-elle moins de l'intime qu'il y a 20 ans? Quand on sait que dans ce laps de temps, le nombre d'écoutes téléphoniques n'a cessé d'augmenter, qu'on a permis l'apparition de la jurisprudence Antigone, la disparition de ces garanties est préoccupante.

 

On peut entendre parfois que "si on n'a rien à se reprocher, on n'a rien à craindre…" Non! On a des droits et il y a des procédures pour les garantir. Y mettre fin revient à ne plus protéger nos droits fondamentaux, en particulier celui de notre vie privée.

 

Dans un tout autre registre, je ne m'attarderai pas sur les restrictions qui ont été apportées à l'opposition sur défaut. J'irai même jusqu'à admettre, monsieur le ministre, qu'en l'occurrence la majorité a fait preuve de sagesse en admettant les causes d'excuse légitime. Toutefois, puisque l'objectif consistait à éviter des manœuvres dilatoires, je pense qu'il ne faut pas se limiter à interrompre la prescription de l'action publique.

 

Étant donné que je suis sur ma lancée positive – profitez-en, car cela n'arrive malheureusement pas souvent; en tout cas, cela ne va pas durer –, je reconnais également que la majorité a entendu les principales critiques qui ont été émises envers le calendrier contraignant pour l'échange des conclusions.

 

Il n'en va cependant pas de même pour les restrictions qui ont été apportées à l'appel. Nous avons longuement discuté de cette mesure en commission. D'après les nombreux experts qui ont apporté leur éclairage à ce sujet, ces dispositions affecteront les justiciables les plus vulnérables, qui sont dépourvus d'avocat.

 

La question reste posée, monsieur le ministre. Si la requête déposée par un individu qui n'est pas assisté par un avocat ne mentionne pas de griefs procéduraux – on sait que c'est un aspect éminemment technique -, le champ de l'appel sera-t-il automatiquement réduit aux seuls autres griefs qui figureront dans la requête? Une personne qui n'est pas spécialisée en droit pénal pourra-t-elle émettre des critiques à l'encontre d'une procédure? Quelqu'un qui n'a pas suivi des études de droit ou qui ne dispose d'aucune notion juridique pourra-t-elle exprimer des griefs? J'en doute fortement.

 

Monsieur le président, chers collègues, monsieur le ministre, j'en reviens maintenant à l'une des mesures qui a réuni la quasi-totalité des experts contre elle, et c'est bien là malheureusement sa seule vertu, je veux parler de la suppression du pourvoi en cassation dans le cadre de la détention préventive et du règlement de la procédure et des méthodes particulières de recherche. On comprend l'objectif qui est poursuivi: alléger la charge de travail de la Cour de cassation. D'ailleurs, la justification du ministre est principalement statistique. Vous dites, monsieur le ministre, qu'il y a beaucoup de pourvois mais que trop peu d'arrêts y font droit. Comme on n'y fait pas droit, il faut supprimer le droit. Ce faisant, le gouvernement commet une double erreur.

 

Tout d'abord, ce gouvernement considère le droit de façon figée. Pour ma part, je suis évidemment partisane d'une conception dynamique du droit. Il faut autant regarder ce que la situation crée que ce qu'elle permet d'éviter. En l'occurrence, le seul fait que les juges sachent que leurs décisions pourront être contrôlées est de nature à influencer positivement la qualité de leur travail. Mais si, demain, on supprime ce pourvoi, pourquoi un juge continuerait-il à motiver avec diligence le maintien d'une détention préventive s'il sait, in fine, qu'il ne sera pas censuré? Pourquoi analyserait-il par rapport au délai raisonnable, par rapport aux indices sérieux de culpabilité? Il y a un risque d'amoindrir la qualité du travail. L'abrogation de ce pourvoi en cassation oublie aussi qu'il permet d'éviter l'annulation d'un procès au bout de longues années de procédure. Cela permettrait aussi d'alléger les tribunaux et de rendre une procédure plus efficace comme vous le dites, monsieur le ministre.

 

Évidemment, au-delà d'une analyse dynamique, ce sont à nouveau et surtout des principes qui sont remis en cause. À nouveau, je souhaiterais reprendre les mots de Mme Tulkens tant ils sont aussi clairs que tranchés. Elle dit: "Je regrette la proposition de supprimer la possibilité de former un pourvoi en cassation en matière de détention préventive. Contrairement à ce qu'écrit l'exposé des motifs, il s'agit bien d'un contrôle qui incombe à la Cour de cassation. Comme la Cour européenne de droits de l’homme l'a rappelé dans son arrêt Civet contre France de la grande chambre du 28 septembre 1999".

 

Cette remise en cause injustifiée et préoccupante de la présomption d'innocence ne s'arrête pas là. Je trouve évidemment tout aussi condamnable la fin du contrôle mensuel de cette même détention préventive. Désormais, à partir de la troisième décision de la chambre du conseil, le contrôle se fera uniquement tous les deux mois. C'est un recul qui fait fi de l'aspect exceptionnel que doit revêtir la détention préventive, puisque, je le rappelle, chers collègues, la personne est à ce stade toujours présumée innocente.

 

À cela s'ajoute l'impact sur le rythme de l'instruction, puisque l'obligation pour le juge d'instruction de déposer son dossier au greffe lui permet d'être, toutes les trois semaines, rappelé à l'ordre dans l'évolution de son instruction. Un contrôle bimestriel n'aura qu'un effet, qui sera celui de ralentir l'instruction et ralentir l'enquête. À la place de déposer son dossier au greffe toutes les trois semaines, il le déposera toutes les six voire sept semaines. L'enquête va donc traîner un peu plus pour ces personnes qui sont toujours considérées comme innocentes, en détention préventive.

 

Hier, en commission, nous avons eu un débat sur les prisons en Belgique. Je rappelle que 60 % de la population carcérale est en détention préventive et est présumée innocente. Si l'on veut désengorger nos prisons, il ne fallait pas toucher à cette mesure, et surtout pas allonger la comparution à deux mois après la troisième comparution.

 

Dans ce "pot-pourri II", la reconnaissance préalable de culpabilité, Mme De Wit en a parlé, représente peut-être la seule mesure inédite qui n'est pas rédigée au détriment des droits des justiciables. C'est une partie où je suis positive, profitez-en, soyez attentifs! Si dans un système judiciaire parfait, une telle procédure ne devrait évidemment pas exister, force est de constater qu'avec suffisamment de garde-fous, elle offre des avantages indéniables tant pour les acteurs du monde judiciaire, nous l'avons entendu lors des auditions, que pour le justiciable.

 

L'obligation d'être accompagné d'un avocat ou l'impossibilité de proposer cette mesure pendant une instruction et pendant une détention préventive font évidemment partie de ces garanties nécessaires, mais qui ne sont pas suffisantes puisque le projet est encore loin d'être parfait. Même si elle est sur la bonne voie, nous aurions souhaité, du moins dans un premier temps, que cette procédure soit limitée aux infractions les plus légères.

 

J'en arrive ainsi à une autre réforme plus critiquable, à savoir la réforme visant à accorder aux juristes de parquet nommés, certaines compétences du ministère public.

 

D'un point de vue budgétaire, on en revient une nouvelle fois à la théorie de Lavoisier, monsieur le ministre, qui a été très bien résumée par Mme Levecque, lors des auditions. Je la cite: "Si les juristes de parquet font le travail des magistrats, alors qui fera le travail des juristes de parquet?" Évidemment, le transfert de la charge de travail ne va pas régler le problème.

 

Plus fondamentalement, cette mesure pose la question de l'indépendance des juristes de parquet qui restent, évidemment, sous l'autorité disciplinaire de l'administration et donc du pouvoir exécutif. À cet égard, on peut émettre des doutes quant à la pertinence de la distinction, qui a été évoquée en commission, entre les juristes de parquet nommés et les juristes contractuels.

 

Ce faisant, comment peut-on justifier un processus de nomination spécifique aux magistrats? Et s'il apparaît, à l'occasion des débats à l'audience, qu'il y a lieu de requérir, par exemple, l'abandon des poursuites, sur la base de quelle norme, le juriste de parquet disposera-t-il de la liberté de requérir l'abandon des poursuites? La réponse à cette question reste en suspend.

 

Monsieur le ministre, l'indépendance du parquet n'est pas un concept vain, en particulier dans notre système judiciaire. En effet, si le rôle des juristes de parquet peut évoluer, cette évolution doit être pensée de façon globale avec une attention particulière portée à la séparation des pouvoirs. Or, la réforme proposée, aujourd'hui, au détour de quelques articles, reflète surtout une position très peu aboutie ou, en tout cas, inachevée.

 

Avant de conclure, je souhaite m'attarder sur le chapitre du "pot-pourri" qui a fait l'objet des critiques les plus acerbes de la part de certains des plus éminents juristes de notre pays. Il s'agit bien évidemment du sort réservé aux étrangers illégaux dans les prisons. Ceux-ci se voient retirer une série de modalités d'exécution de leur peine.

 

Ces modalités, au-delà du fait qu'elles préparent la réinsertion du détenu, permettent à ce dernier de jouir de ses droits fondamentaux, inhérents à tout être humain, qu'il soit belge ou étranger, libre ou incarcéré. On vise ici le droit de mener une vie familiale et celui d'avoir accès aux soins de santé. Cette généralisation des mesures à l'égard d'un groupe de personnes est évidemment aveugle aux multiples réalités des personnes incarcérées. On nous l'a amplement rappelé lors des auditions: certaines n'ont aucune attache dans leur pays d'origine, ou sont en mesure de régulariser leur situation en Belgique, ou encore ne peuvent pas faire l'objet d'une mesure d'éloignement. Il s'agit donc là de mesures aussi stigmatisantes qu'inutiles, comme l'a bien démontré le Conseil d'État. Celui-ci a rappelé que l'évaluation au cas par cas permet de prévenir les risques liés à l'octroi des modalités d'exécution. Autrement dit, tous les éléments d'une discrimination en violation des articles 10 et 11 de la Constitution sont réunis dans ces dispositions plus particulières de ce "pot-pourri II".

 

En attendant une annulation promise par le Conseil d'État ainsi que par d'anciens juges de la Cour suprême, ces mesures, à l'instar de nombreuses autres mesures du "pot-pourri II", ne serviront qu'à alimenter des prisons déjà surpeuplées.

 

Il est bien loin, monsieur le ministre, le temps où vous nous aviez laissé miroiter, dans votre Plan Justice, une réduction de la surpopulation carcérale et du coût de la justice. Désormais, on préfère augmenter le taux des peines, en finir avec le contrôle mensuel de la détention préventive, restreindre les peines alternatives ou encore supprimer les pourvois en cassation pendant l'instruction.

 

Vous l'aurez compris, monsieur le ministre, vous avez produit exactement l'inverse de ce que vous nous aviez promis dans votre plan Justice.

 

Venons-en maintenant à la logique sous-jacente de cette réforme, à savoir économies, économies, économies. Nous pouvons encore nous demander légitimement en quoi ce projet va permettre de réaliser ces fameuses économies. Ce n'est ni en augmentant le nombre d'incarcérations, ni en augmentant la durée des séjours en prison que l'État fera des économies. Un détenu a un coût à court, moyen et long terme pour notre société. Ces dispositions de la loi "pot-pourri II" seront donc contre-productives.

 

Et que dire des principes de bonne gouvernance qui sont piétinés et de l'insécurité juridique créée par ce projet? Ces mesures sont promises à la censure de la Cour constitutionnelle. Votre rôle n'est-il pas d'améliorer notre justice? Votre rôle n'est-il pas de prendre garde aux droits des citoyens, de sauvegarder les droits des justiciables? Il est vraiment temps de se ressaisir. Ce projet ne renforce pas les droits des citoyens. Au contraire! On assiste à une réduction systématique des droits des justiciables, allant même jusqu'à la limite de l'acceptable.

 

Chers collègues, ne l'oublions pas, en tant que parlementaires, notre rôle est de veiller à ce que les droits des citoyens soient respectés. Et c'est pourquoi mon groupe ne peut évidemment soutenir ce projet, car celui-ci va à l'encontre des droits fondamentaux des citoyens belges. Ce "pot-pourri II" renvoie à une autre époque, celle d'une justice déshumanisée, éloignée du citoyen et qui sert à ceux qui sont censés la servir. Voilà bien un cas typique de recul de civilisation! Je vous remercie.