Question de Laurette Onkelinx à Charles Michel, Premier ministre, sur le budget et le tax shift

Monsieur le président, mesdames et messieurs du gouvernement, chers collègues, nous avons enfin obtenu les fameux tableaux réclamés. Je comprends que vous ayez mis du temps à nous les donner car il existait des différences entre les slides et les chiffres à déposer aux parlementaires. J'ai rarement vu un tableau budgétaire aussi imprécis où sont mélangées des décisions déjà prises avec de nouvelles mesures décidées, où apparaissent des mesures hypothétiques et où une anticipation de revenus et de recettes devient une mesure structurelle.

 

Bref, on se ne départit pas de cette impression de brouillard et de nébuleuse. En quelque sorte, je dirais que vous nous cachez quelque chose.

 

Ces dernières semaines, nous avons pu constater votre improvisation sur les chiffres, comme l'erreur sur les 750 millions pour les Régions ou encore à propos de la SNCB. En l'occurrence, cela va encore un peu plus loin. Ce n'est plus de l'improvisation, c'est un véritable jeu de colin-maillard. Ce jeu consiste à bander les yeux et la personne doit toucher une victime.

 

Nous sommes dans l'improvisation. Et tout ce que nous savons, c'est qu'il y a des victimes. Parlons-en! "On nous disait", dit le premier ministre, "que c'était impossible, alors nous avons décidé de le faire". Oui, vous avez osé!

 

Vous avez osé plumer les familles, plumer les travailleurs, les classes moyennes, les pensionnés, les sans-emploi, les services publics. (Brouhaha)

 

Tout n'est pas mauvais. Par exemple, vous augmentez le précompte mobilier. On l'avait fait passer de 15 % à 25 % sous les cris de la N-VA. Vous poussez à 27 %. Je ne vais pas dire que c'est mauvais. Vous faites des pas sur la spéculation. Cela étant dit, savez-vous que dans les tableaux, l'apport sur les spéculations, représente, en structurel, 28 millions d'euros, dix fois moins – rappelez-vous ce chiffre – que les économies imposées en soins de santé?

 

Mais j'en viens à d'autres exemples. Prenons la TVA sur l'électricité. Pour rappel, le gouvernement Di Rupo avait décidé en 2013 de baisser la TVA sur l'électricité pour soutenir le pouvoir d'achat des familles et l'emploi. Monsieur le premier ministre, vous étiez président du MR à cette époque-là. Quand on a pris cette mesure, vous aviez dit: "Ah, génial! Voilà une bonne mesure pour le pouvoir d'achat et pour l'emploi." Aujourd'hui, vous nous dites encore une fois: "Je me suis trompé. Cette baisse de la TVA n'est plus une bonne mesure." Je dirais que qui veut noyer son chien, l'accuse de rage. Une augmentation de minimum 100 euros de la facture d'électricité, ce ne sera évidemment pas marginal pour le budget des ménages. 

 

Parlant de TVA, ai-je bien compris? Je n'en suis pas sûre, vous me direz. Supprimez-vous un taux réduit pour la TVA sur le logement social et sur les écoles? Vous avez un apport dans le tableau, de quelque 20 millions d'euros, je crois. Vous allez nous l'expliquer. J'espère en tous cas que vous ne touchez pas à ce taux réduit qui est indispensable pour le secteur de la construction mais également pour aider les Communautés et Régions à soutenir la construction de logements sociaux et d'écoles.

 

Vous augmentez les taxes santé. Au niveau de l'Organisation mondiale de la santé, tous les spécialistes ont toujours dit: "Oui, on peut, pour soutenir une alimentation saine, augmenter la taxation sur les produits trop gras, trop salés, etc."      

 

Mais ce n’est efficace que si vous diminuez dans le même temps la taxation sur les produits sains. Ici, rien de tout cela! C’est purement budgétaire. Vous puisez dans le portefeuille des familles pour diminuer les frais des entreprises et c’est scandaleux!

 

Dans un brouillard absolu, vous dites que cela va créer de l’emploi et que cela permettra dès lors de préserver automatiquement la sécurité sociale. Non seulement, c’est faux, mais vous omettez de dire qu’à l’horizon 2018, vous faites 1,7 milliard d’économies dans la sécurité sociale avec des mesures qu’on ne connaît pas. On ne nous les explique pas. On verra pour 700 millions. Par contre, on sait déjà qu’il y aura 155 millions pour les invalides, 280 millions dans les soins de santé. Il s’agit d’un effort dans la sécurité sociale, sur le dos des gens et des familles, qui est exceptionnel.

 

Vous parlez de création d’emplois et vous dites que, notamment, le fait de descendre le taux de 33 à 25 % va véritablement booster l’emploi. On sait bien que dans la plupart des entreprises, on est déjà à 25 % à l’exception des entreprises où il y a des emplois à très haute qualification. Les banques, par exemple. Est-ce vraiment cela une politique de soutien à l’emploi?

 

Monsieur le président, chers collègues, je ne parlerai pas, car on y reviendra, des économies dans les services publics qui vont être inouïes et que l’on cache sous des termes ronflants tels que redesigning, etc. En fait, on va saquer dans l’emploi et dans les moyens pour les services au public.

 

Après ce que vous avez déjà entrepris contre les travailleurs avec le saut d’index, ce que vous avez déjà fait dans les services publics, votre soutien aux diamantaires en tapant les allocataires sociaux, c’est à nouveau la population qui est dans votre collimateur!

 

Tout à l’heure, vous avez commencé votre conférence de presse en adaptant une phrase de Marc Twain, "c’était impossible!" Vous me permettrez donc de terminer avec le titre d'un film parce qu'avec ce que nous allons voter aujourd'hui et demain pour les familles, pour les travailleurs, pour ceux qui bénéficient d'un revenu de remplacement, ce sera vraiment "L'Été meurtrier"!

Réponse de Charles Michel

Le gouvernement a entamé un processus de réformes économiques et sociales avec la conviction que le meilleur moyen de préserver les protections sociales, de garantir le financement des pensions et le remboursement des soins de santé est de soutenir l'activité économique et de créer beaucoup d'emploi. Cela ne sera pas possible sans faire preuve de courage, sans prendre nos responsabilités.


Je me suis engagé au nom du gouvernement à lancer une réforme fiscale avant l'été. L'objectif est d'accroître l'efficacité économique pour renforcer notre modèle économique et dès lors aussi notre modèle social.


Cet engagement est honoré.


Nous avons pris deux décisions essentielles. La première est de procéder à l’assainissement des finances publiques. Nous entendons atteindre l’équilibre budgétaire en 2018, car c’est notre meilleur atout pour conserver notre crédibilité auprès des investisseurs. Nous avons

opté pour un assainissement qui ne passe cependant pas par une hausse de la fiscalité.


Nous avons privilégié l'assainissement du budget par une meilleure organisation et une plus grande efficacité des services publics. Le budget de 2015 est sous contrôle et, pour la première fois depuis longtemps, une trajectoire est dessinée dès juillet pour le budget de l'année suivante.


Assainir les finances, c'est important, mais cela ne suffit pas. C'est pourquoi nous avons pris comme deuxième engagement d'augmenter la compétitivité de l'ensemble de nos entreprises.


Nous avons un problème de handicap salarial. Pour le résoudre, nous avons pris une mesure pour encourager l'embauche et la création d'emplois. C'est la condition pour financer dans la durée la protection sociale.


Nous sommes un pays de PME. Celles-ci jouent un rôle-clef dans notre capacité de développement et de solidarité.


Nous avons réservé 430 millions d'euros à l’adoption de mesures concrètes en faveur des PME, ce qui prouve que le gouvernement tient compte des revendications des PME.


Par ailleurs, nous sommes convaincus que l'industrie joue un rôle important dans ce pays et

que la technologie et l'innovation sont cruciales pour les emplois de demain.


Vous aurez vu dans le tableau une disposition pour encourager les investissements technologiques dans le secteur industriel et des mesures pour renforcer l'attrait du travail en équipe et du travail continu pour soutenir le tissu économique et permettre la création d'emplois.


J'en viens au pouvoir d'achat. Les mesures que nous prenons se traduiront par une nouvelle répartition du pouvoir d'achat, l'accent étant mis sur les salaires bas et moyens.


Les salaires bas et moyens doivent recevoir cent euros nets de plus par mois. Ce n'est pas une décision banale mais un engagement à respecter et encourager le travail.


Nous optons pour un abaissement de la pression fiscale globale dans notre pays. Nous finançons des mesures d'amélioration de la compétitivité et du pouvoir d'achat.


Nous faisons des choix très mesurés en matière de consommation d'électricité. Pour les

écoles et les logements sociaux, nous envisageons pour les entités II de doper l'investissement par des baisses de TVA ou un accès facilité à un taux de TVA réduit. Si l’on augmente ainsi les activités de la construction, on augmente les recettes.


Nous prendrons également des initiatives en matière de fiscalité verte et en ce qui concerne les revenus autres que ceux du travail.


Nous faisons des choix sur le capital qui permettent davantage d'équité tout en soutenant

l'économie réelle.


Nous continuerons à renforcer l'efficience des pouvoirs publics par des achats centralisés, par une meilleure gestion du patrimoine immobilier de l'État, département par département, de façon à ce que l’argent du contribuable soit correctement dépensé.


Cela fait quasiment un an que nous avons mis en place une coalition suédoise, une mission à la fois difficile et audacieuse.


Il n'a été facile pour aucun des quatre partis de s'engager à mettre en évidence les points

qui nous rassemblent plutôt que ceux qui nous divisent. Nous nous rassemblons autour de la

nécessité de créer des emplois, en particulier pour les jeunes et les travailleurs âgés. Ainsi, à

l'horizon 2018, 7,2 milliards d'euros seront mobilisés pour mettre de l'oxygène dans notre développement économique. Nous allons poursuivre notre travail dans le respect du débat parlementaire et avec le souci d'avoir un débat de qualité. Sachez que pour ce qui nous concerne, nous prenons nos responsabilités!


Neuf mois après l'entrée en fonction de cette coalition, je tiens à remercier mes collègues qui,

avec moi, ont décidé de se rassembler pour tenter de résoudre les budgets de 2015 et 2016, pour donner un élan économique, social et fiscal. La majorité est stable, elle est solide. Nous voyons le cap et connaissons les orientations.


Nous sommes motivés et résolus à engranger des résultats également à l’avenir, non pas au profit d’une majorité politique, mais au profit des entreprises et de la population. C’est là notre

engagement.

Réplique de Laurette Onkelinx

Monsieur le président, chers collègues, on m'a reproché de ne pas être contente. Je voudrais vous rappeler pourquoi.

 

Nous attendions ce qui était promis: en quelque sorte, une révolution fiscale. Il n'y en a pas!

 

Par contre, vous avez fait un choix. Entre taxer les rentiers et les buveurs de soda, vous avez choisi de taxer beaucoup plus les buveurs de soda qui vont contribuer à la solidarité bien plus que celui qui réalise une plus-value de plusieurs millions d'euros. C'est cela l'injustice fiscale et nous ne sommes pas d'accord avec cette politique.

 

Vous avez parlé de l'augmentation des bas et moyens revenus, et nous nous en réjouissons. Qui ferait le contraire? Cependant, dans le même temps, vous augmentez la TVA sur l'électricité, vous procédez à un saut d'index, vous imposez la taxe diesel ainsi que d'autres taxes sur la consommation. L'augmentation de la TVA est l'imposition, la taxation la plus injuste car elle frappe de la même façon les bas et les hauts salaires. Vous donnez d'une main mais vous reprenez de l'autre! C'est ce que j'appelle de l'imposture.

 

En ce qui concerne l'emploi, vous annoncez une diminution des cotisations sociales patronales. Nous l'avons déjà réalisée dans le passé. Je ne suis pas opposée à cette politique. Néanmoins, à chaque fois, nous avons voulu imposer des obligations d'embauche pour les employeurs. Nous avons dit que nous voulions bien faire des cadeaux mais qu'en contrepartie, nous voulions la création d'emplois. Où sont ici les obligations pour les entreprises? Je n'en vois aucune. Cela représente également de l'injustice sociale.

 

Enfin, je voudrais évoquer les grands oubliés dans votre exercice. Vous dites, et M. Vuye l'a répété, que les travailleurs subiront l'effet de taxes mais qu'ils bénéficieront d'une augmentation de revenus qui compensera, plus ou moins, la perte. Que faites-vous des plus de deux millions de pensionnés et des autres allocataires sociaux? Ils subiront la hausse de la TVA et de la taxation sur la consommation sans aucune compensation!

 

Oui, il est évident que le PS n'est pas content. Cela a au moins un avantage, qui est de montrer ce qu'est un gouvernement de droite qui privilégie les nantis et qui tape sur les revenus moyens et modestes. Ce n'est pas notre choix, mais le vôtre. En ce sens, avec cet exercice-ci, vous êtes complètement démasqués!