Intervention de Laurette Onkelinx sur l'"Agreekment" et les mesures imposées à la Grèce

Dans la douleur et le déchirement, sous les huées de manifestants en colère, le parlement grec a donc approuvé l’agreekment.


Je veux saluer le courage d’Alexis Tsipras qui a osé l’affrontement avec une partie de ses partisans pour honorer les engagements pris au nom de la Grèce.


En lui rendant ainsi hommage, je voudrais rappeler qu’il a pris ses fonctions le 26 janvier, il y a moins de sept mois, porteur d’un immense espoir des citoyens grecs :

L’espoir du retour d’un emploi digne, l’espoir pour les jeunes d’avoir autre chose que la rue comme projet de vie et l’espoir pour les entreprises d’avoir une bulle d’oxygène pour que la consommation interne, les exportations et la production redémarrent.

 

Mais la Grèce a une dette de 327 milliards d’euros. 175% de son PIB.

 

Le pays dont hérite Tsipras, est en piteux état :

· 36% de personnes sont en situation de pauvreté ou d’exclusion sociale, dont une hausse de 44% du nombre de jeunes entre 15 et 29 ans dans cette situation ;

 

· 26,5% de taux de chômage,

 

· Plus de 30% des entreprises ont fermé depuis 2010

 

· Une diminution de 84% des activités du bâtiment

 

Cette situation de quasi faillite est la conséquence d’une double irresponsabilité.

 

Bien sur, les acteurs politiques, économiques et sociaux en Grèce ont une responsabilité directe dans ce désastre. On ne peut pas faire comme s’ils n’en pouvaient rien, comme si ils n’étaient responsables de rien. Cela n’est pas possible.

 

Mais de la même façon la responsabilité des institutions européennes est écrasante. Les plans de sauvetage qui se sont succédés ont, il est vrai, permis de recapitaliser les banques privées….


Mais pouvons nous constater ensemble que les mesures d’austérité qui ont été imposées ont eu des conséquences désastreuses.

 

La dette publique grecque a explosé, le pays est entré dans la spirale mortifère de la récession économique et le peuple grec est en grande souffrance.

 

Cette responsabilité des instituions européennes a été beaucoup trop cachée, occultée lors des dernières négociations.

 

Et les créanciers ont fait comme s’il ne fallait pas tirer les leçons du passé, produisant un accord, qu’en l’état je crois mauvais pour l’avenir de la Grèce.

 

Bien sûr l’accord a des avantages.

 

Il a évité la sortie de la Grèce de la zone euro, qui aurait eu des conséquences économiques désastreuses mais aussi des prolongements géopolitiques qui auraient pu mettre à mal l’équilibre des forces sur le continent européen et le combat pour la paix.

 

A cet égard, j’aurais voulu vous entendre, Monsieur le ministre des Finances, exclure d’emblée cette perspective comme votre collègue français l’a fait. Vous avez là commis une faute qui rejaillit sur notre pays.

 

Autre avantage de l’accord : le montant du prêt et la stabilité. 3 ans de sécurité de financement plutôt que des interventions en cascade avec pression en échange des versements de prêt. Cela permet une sécurité plus propice aux développements d’initiatives de redéploiement économique et social.

 

Enfin, un fonds de relance de 35 milliards, ce n’est pas rien pour soutenir la demande et les investissements.

 

Mais l’accord est mauvais à plus d’un titre :

 

Je n’ai pas entendu un seul économiste le défendre.

 

Ils ont plutôt été dans l’escalade de critiques virulentes : on a entendu les mots de « délirant », d’ « irréaliste » prononcés par des experts de tous bords.

 

Ils mettent en évidence notamment que les hausses d’impôt et les coupes budgétaires vont, par leur effet récessif, gonfler encore la dette gigantesque de la Grèce.

 

Le FMI lui même parle d’une dette qui n’a plus rien de soutenable , d’autant qu’elle exploserait pour arriver à 200% du PIB d’ici 2 ans.


La commission européenne elle même situe la croissance à court terme entre – 2% et -4% !!

 

Tout cela sans parler de ce que vont vivre les grecs comme désespoir social.

 

Cet océan de critiques montre que le premier mérite de l’accord est enfin de mettre clairement, largement, publiquement en cause le dogme de l’austérité auquel pourtant, dans cette majorité, vous croyez tant!

 

J’espère une onde de choc citoyenne qui poursuive ce travail de mise en cause de ce dogme qu’apprécie tellement les conservateurs de tous bords.

 

Mes chers collègues,

 

Plusieurs observateurs avertis et encore aujourd’hui le prix Nobel Stiglitz ont tenu à rappeler les leçons de l’histoire et notamment le traité de Versailles de 1919.

 

Quand on met un pays à genoux, les conséquences en termes de révoltes peuvent être immenses.

 

Pour l’éviter, vous avez encore des cartes en mains.

 

Et j’aimerais que vous fassiez des déclarations fortes aujourd’hui sur la dette grecque. Quel échéancier de négociation bien sûr. Mais surtout, quelle est la position que la Belgique défendra : réduction ou rééchelonnement ?

 

De la même façon sur le fonds de relance : quand et comment de l’argent frais pourra t’il venir contrecarrer les effets récessifs ? Quelle est la position belge ?

 

Nous sommes en droit d’avoir des explications claires sur le sujet.

 

Monsieur le Premier Ministre, chers collègues,

 

L’accord dont nous discutons a été largement commenté à travers les réseaux sociaux, les médias, les experts.

 

On a vu qu’un hashtag « c’est un coup d’état », avait été retweeté des centaines de milliers de fois. Ce qui montrait que l’accord était ressenti par beaucoup d’européens comme étant d’une violence excessive.

 

La presse internationale a amplement commenté l’accord. Et j’ai été surprise par la presse allemande qui a été d’une violence rare.

 

Je cite quelques titres : « Schauble est le visage des allemands sans cœur » ou encore « l’accord est l’image d’une Allemagne laide, avare et au cœur sec » ainsi que, je cite toujours : » c’est un catalogue des horreurs destiné à humilier la Grèce »

 

Le ressenti largement majoritaire est à l’indignation. 

 

Enfin, outre les critiques des économistes dont j’ai parlé, beaucoup d’experts ont réclamé un changement de régime dans la zone euro. Ils ont insisté, au niveau institutionnel sur le spectacle désastreux donné par les institutions actuelles.

 

Voilà un deuxième mérite de l’accord :

 

Le débat est largement relancé sur le devenir de la zone euro.

 

Le PS, comme d’autres européens convaincus, réclame un véritable gouvernement de la zone euro avec une légitimité démocratique grâce au contrôle d’un parlement de la zone qui a des vrais pouvoirs de contrôle. Un vrai budget aussi et une capacité d’intervention en convergence fiscale mais aussi sociale.

 

Mes chers collègues,

 

Le mot Europe a été synonyme d’espoir.

 

C’est un mot qui a fait rêver des générations.


De plus en plus malheureusement, et notamment chez les jeunes, l’Europe est perçue comme un vilain mot, elle charrie des images négatives, l’espoir n’est plus là.

 

Dans Le petit Prince, Saint Exupéry dit ceci à propos des rêves :

 

« Faites que le rêve dévore votre vie, afin que la vie ne dévore pas votre rêve. »

 

La sclérose des institutions, le dogme brutal de l’austérité pourraient bien dévorer le rêve européen.

 

A vous, à nous de choisir !!

NB: Seul le texte prononcé fait foi.