Question de Frédéric Daerden à Charles Michel, Premier ministre, sur la restructuration de la dette grecque

Monsieur le président, monsieur le premier ministre, dimanche dernier, les Grecs ont dit non au plan injuste des créanciers pour leur pays. C'est un non à tout ce qu'ils subissent. Pour vous, monsieur le premier ministre, c'est peut-être un non au projet européen. Vous avez fait passer notre pays d'un moteur du projet européen vers un partisan acharné de la ligne dure qui rime maintenant avec un Grexit.

 

"Si on aide la Grèce, c'est pour la voir vivre et non mourir", disait votre prédécesseur. On en est loin aujourd'hui, lorsque vous suivez, avec conviction en plus, la position des plus durs. Au lieu de se poser la question de savoir pourquoi les Grecs ont dit un non implacable lors de ce référendum, vous et vos collègues pro-austérité, préférez fermer les yeux. Or, "l'austérité actuelle en Grèce risque de tuer le malade" répétait encore Piketty, il y a quelques jours. Chers collègues, dire que l'austérité marche, ce serait comme prétendre que le soleil tourne autour de la Terre. Augmenter la TVA, diminuer les pensions, couper dans les soins de santé, sans même poser la question de la restructuration de la dette des États membres, c'est tout simplement incompréhensible. Même le FMI, par le biais de Christine Lagarde, a affirmé hier qu'une restructuration de la dette de la Grèce était nécessaire, pour qu'elle ait une dette viable.

 

Il est vrai qu'il est indispensable que le premier ministre grec fasse des propositions sérieuses, concrètes et chiffrées de réformes. Mais pour cela, il faut lui donner l'espace politique pour les mener, lui imposer de prendre des mesures mettant véritablement fin aux privilèges des plus nantis, comme l'Église orthodoxe ou les armateurs. C'est tout simplement la démocratie qui doit l'emporter. Aucun autre peuple n'a consenti autant d'efforts.

Monsieur le premier ministre, il ne suffit pas de donner des leçons, comme hier encore avec arrogance, le chef de groupe libéral au Parlement européen; il faut prendre les décisions.

 

Je vais poser trois questions à M. le premier ministre.

 

Quelle sera la position de la Belgique lors du Conseil Affaires économiques et financières (ECOFIN) et surtout du Conseil européen de ce week-end?

 

Serez-vous prêt à poser formellement le veto de la Belgique à toute éventualité de sortie de la Grèce de l'eurozone et à prendre toutes les mesures indispensables pour assurer la solidarité européenne?

 

Comptez-vous aborder la question des dettes souveraines et de leur restructuration, dès lors que le FMI et même l'eurodéputé de votre groupe, Louis Michel, appellent à une solution globale?

Réponse de Charles Michel

L'enjeu est sérieux par ses conséquences économiques, financières et sociales pour la Grèce, pour le concept d'engagement européen et pour l'avenir de l'Europe. La dimension géopolitique sera évidente dans les discussions prochaines.


Nous avons pris connaissance des déclarations de Christine Lagarde.


Les déclarations du FMI ne nous étonnent pas. Les positions du FMI et la Commission européenne sont légèrement différentes. Le FMI est en effet ouvert à un rééchelonnement de la dette mais il est en même temps plus strict que la Commission quant à la nécessité de réformes structurelles immédiates.


On ne peut prendre une partie du raisonnement et ignorer le reste.


Au Conseil européen il y a deux semaines, j'ai plaidé pour des réformes structurelles en Grèce au départ des propositions de la Commission, avec une capacité raisonnable pour le gouvernement de déposer des amendements. Si un tel engagement avait été pris, tous les États auraient été prêts à discuter du rééchelonnement.


Dès novembre 2010, l'Eurogroupe avait expliqué qu'une discussion sur la dette était possible, à condition qu'il y ait un programme concret de réformes. Il n'y en a toujours pas!


J’ai appuyé le premier ministre Tsipras dans son plaidoyer en faveur d’un débat politique. Cette semaine la possibilité d’organiser ce débat s’offrait à nous mais à notre grande stupéfaction – même à celle de MM. Hollande et Renzi – M. Tsipras n’a déposé aucune proposition concrète sur la table.


Ce jeudi, nous devrions recevoir une proposition du gouvernement grec. Une réunion exceptionnelle aura lieu dimanche, ce qui montre la volonté de tout faire pour trouver des solutions.


Je n'ai pas vu venir de décision du gouvernement grec concernant la lutte contre la fraude, les

armateurs, les dépenses militaires; la Grèce est le deuxième contributeur par habitant!


Les Européens et la Commission européenne ont mis beaucoup d'arguments sur la table. M. Juncker a proposé, bien avant le référendum, 35 milliards d'euros d'investissements. Mais on n'en a pas parlé en Grèce au moment du référendum!


Nous sommes sûrs que la plupart des Grecs veulent rester dans l’eurozone et nous voulons offrir à ce pays toutes les chances de le faire.


La population grecque veut rester dans l’Eurozone; le gouvernement est prêt à tout faire pour le lui permettre, mais le gouvernement grec veut-il tout faire pour cela? La réponse sera

donnée dimanche.

Réplique de Frédéric Daerden

Monsieur le premier ministre, j'entends vos réponses et je constate que vous restez toujours dans la même logique: aucune bonne proposition de la Grèce, donc on attend et on ne change pas d'attitude. J'espère que lorsque vous aurez les propositions du gouvernement grec ce soir, votre position évoluera et que vous sortirez de votre ligne dure qui nous oriente vers la catastrophe.

 

Sortez de cette ligne, soyez à la base d'un nouvel élan européen qui permette de sortir du carcan suicidaire dans lequel vous mettez les Grecs mais aussi tous les Européens! Il faut aussi des signaux forts de changement de cette ligne! Pour rappel, en 1953, quand l'Allemagne a demandé qu'on rééchelonne sa dette, les créanciers ont accepté d'en supprimer 62 %. Elle a aussi bénéficié d'un moratoire de cinq ans sur les intérêts et de trente ans sur le remboursement. Inspirez-vous de cela! Changez de ligne, l'Europe vaut mieux que des postures! L'Europe mérite que la Belgique se mette en opposition totale à la sortie de la Grèce. Nous comptons sur vous! Il n'est pas trop tard, mais il est temps!