Intervention de Laurette Onkelinx sur le projet de loi concernant la "promotion de l'emploi"

Monsieur le Président,

Madame, Monsieur le Ministre,

Chers Collègues,

 

Cette semaine sera celle du recul social.

 

Une majorité dans ce parlement s’apprête à voter 3 réformes qui toutes, je dis bien toutes, vont diminuer le bien être et les revenus de la grande majorité de la population.

 

- le saut d’index qui est de fait un impôt de 2 % sur les salaires, les pensions et les allocations;

 

- l’allongement de carrière dans la fonction publique et la fin du bonus pension qui dans beaucoup de situations va priver des pensionnés d’un bonus jusqu’à 2200 euros annuel ;

 

- l’augmentation des droits de greffe qui devient une véritable taxe à l’accès à la justice. Pensez donc, on multiplie jusqu’à par 5 les montants à payer pour faire entendre son droit devant les cours et tribunaux.

 

Ainsi donc, après avoir vécu des semaines sans aucun projet, sans aucune réforme à discuter dans cette Assemblée, le gouvernement et sa majorité se mobilisent sur 3 textes qui portent en eux une véritable régression sociale.

 

Notre pays n’est pas parfait, il y a encore beaucoup de changements à réaliser pour sa prospérité économique, sociale et environnementale.

 

Mais par les choix opérés par les gouvernements précédents, nous avons été un des pays les moins touchés par la crise économique.

 

Nous sommes classés 17ème sur 133 pays en termes de bien-être et de progrès social dans le « social progres index ».

 

La Belgique, avec tous ses défauts, notamment le taux de pauvreté encore trop élevé, est un pays de bien-vivre.

 

C’est tout cela que vous remettez en cause avec des politiques économiquement inefficaces et socialement injustes.

 

 

Ainsi, outre leur caractère complètement injuste, les réformes vont :

 

· augmenter la dette : les études tant de la Banque Nationale que du Bureau du Plan sont unanimes et montrent que le saut d’index créera de la déflation, qui augmentera la dette de 1,9 % du PIB à l’horizon 2019,

 

· peser lourdement sur les moyens de la sécurité sociale avec une moindre rentrée de la principale source de financement à savoir les cotisations,

 

· elles vont diminuer les revenus des ménages liés au travail, comme si on voulait décourager celui-ci. C’est le fameux « travailler plus pour gagner moins » qui est mis en œuvre,

 

· et elles ne créeront pas l’emploi nécessaire à la relance économique. On parle d’une augmentation du taux d’occupation de 0,3% d’ici 2020 qui est bien moins que n’importe quelle politique de soutien actif et ciblé à l’emploi.

 

Beaucoup de chiffres ont été échangés lors des travaux en commission.

 

J’en retiendrai encore un : le Bureau Fédéral du Plan montre que les mesures du gouvernement vont provoquer un appauvrissement de la population de l’ordre de 1,2% !

 

Voilà de quoi nous allons parler cette semaine.

 

 

Mesdames et Messieurs,

 

Avant de proposer de telles mesures, le gouvernement aurait dû, conformément à la loi du 15 décembre 2013, procéder à une analyse d’impact.

 

Analyse qui aurait, peut-être, permis à la majorité de se poser les bonnes questions : la mesure qu’elle souhaite prendre aura-t-elle un impact négatif sur la pauvreté ? Sur l’égalité et la non-discrimination ?

 

Le gouvernement était trop pressé pour mesurer l’impact de ses mesures préférant ainsi tirer à l’aveugle et de manière idéologique.

 

Et devant les critiques qui fusent de partout et le mécontentement social très vif, on se cache derrière des paravents, des contrevérités, des slogans qui n’ont pas de sens :

 

· Ainsi, chaque fois que Monsieur Bacquelaine parle de ses réformes pensions, comme il est gêné aux entournures, il dit « mais vous savez, ça ne touchera presque personne ». Si c’est vrai, alors pourquoi le faire ?

 

· Ainsi, monsieur Geens qui déclare que « non non, il n’y aura pas de nouvelles barrières à l’accès à la justice, juste une plus grande responsabilisation des acteurs judiciaires. » Ah bon, dites cela par exemple à un jeune couple qui vient d’acquérir un logement et se fait arnaquer par le vendeur. Pour faire reconnaître ses droits, le couple va devoir payer un accès à la justice 3x plus important qu’avant. La responsabilisation, est ce de se laisser faire parce que la justice est trop chère ?

 

· Ainsi, Monsieur Peeters qui sur l’index dit : « Ne vous en faites pas, c’est un saut d’index intelligent.On compense tout. » Alors de nouveau, si c’était vrai – et j’y reviendrai, c’est complèrement faux- pourquoi le faire ?

 

Le gouvernement a parlé d’une rupture avec les politiques du passé. Effectivement il y a rupture. Aujourd’hui, vous assumez des politiques d’austérité qui appauvrissent la population.

 

A l’heure de votre bilan, cela pèsera lourd.

 

 

Mesdames et Messieurs,

 

Je vais maintenant me pencher plus spécialement sur le projet appelé « promotion de l’emploi ».

 

Je commencerai par vous interpeler Monsieur le Président, sur le danger que constitue pour les droits du parlement l’usage répété par le gouvernement des procédures d’urgence.

 

Pour ce projet, on peut même parler d’une saga invraisemblable autour de l’urgence qui a accompagné la discussion de fond. Un projet “urgent” qui ne l’est plus après une semaine – on l’avoue ouvertement – mais pour lequel on maintient les procédures de traitement raccourcies au parlement. Ce qui a pour effet qu’une série d’avis légitimes et nécessaires, comme celui du CNT, ne seront pas demandés. Je l’ai dit et je le répète : en agissant de la sorte, en maintenant les procédures d’urgence quand celles-ci ne se justifient plus, le gouvernement réduit les droits du parlement. Cela ne devrait pas uniquement choquer les députés de l’opposition, mais également ceux de la majorité!


 

Mesdames et Messieurs, chers collègues,

 

Je parlais tout à l’heure de contrevérités.


Avec le titre du projet, on fait un pas plus loin, on est dans le mensonge pur et simple.

 

Ce titre, mesdames et messieurs, constitue une mascarade, un mépris total vis-à-vis des travailleurs et de la population.

 

Car, finalement, quand on lit au-delà de ce titre, qu’est ce qu’il y a véritablement dans ce projet :

 

1. Tout d’abord: il y a le saut d’index.

 

Ce saut d’index va faire perdre 398 EUR par an à un travailleur qui a un salaire moyen de 3.100 EUR brut/mois. 463 EUR par an à par exemple une comptable avec 10 ans d’ancienneté et un salaire brut de 3.900 EUR, 511 EUR à un pensionné qui a une pension moyenne après une carrière complète de 1.500 EUR.

 

On touche donc gravement au pouvoir d’achat.

 

Quelques réflexions sur ce choix :

 

- Si je suis particulièrement choquée par cette décision, c’est que personnellement j’y ai toujours mis un veto.

 

La mesure a été maintes fois proposée. Sous la dernière législature, Monsieur le vice-premier ministre, même votre parti l’a défendue.

 

Au nom du PS, je l’ai refusée par ce qu’elle symbolise pour moi une injustice fondamentale, un retour en arrière quant aux droits des travailleurs.

 

Alors que le coût de la vie augmente, les salaires, pensions et allocations sont bloqués. C’est un appauvrissement et un recul social.

 

Jamais je n’aurais accepté d’organiser ainsi une attaque frontale contre les droits de celles et ceux qui travaillent ou qui ont travaillé. Cela va à l’encontre de mes convictions les plus profondes.

 

Le PS n’est plus là, la digue a cédé. On s’attaque maintenant aux revenus des travailleurs.

 

- Pour ceux qui depuis toujours défendent ce genre de politique, on ne comprend pas qu’ils la soutiennent encore en période d’inflation basse. C’est inefficace et cela crée des tensions sociales économiquement lourdes à porter

 

- C’est une rupture de confiance avec la population, les électeurs. On a entendu des grandes promesses, la main sur le cœur. Du MR, notamment : jamais on ne touchera à l’index ; La population jugera à l’avenir du poids des promesses chez les libéraux.

 

- C’est une politique du passé. On a d’ailleurs entendu des députés en commission louer les décisions des années Martens-Gol qui ont été dévastatrices, puisque de 1981 à 1985, cela a entraîné une baisse du pouvoir d’achat des salariés de 8,5 % alors que dans le même temps, les profits des entreprises ont bondi de 4,3 %

 

- C’est incompréhensible par rapport aux discours majoritaires : comment justifier qu’on tape sur les gens qui travaillent et plus encore sur ceux qui ont travaillé ? Quid des discours d’appui à celles et ceux qui boulottent, de soutien au courage et à la détermination de celles et ceux qui se lèvent tôt, du respect dû aux ainés ? Quid des grands discours sur la famille quand on réduit ainsi les allocations familiales ? quid des discours sur le logement ? Madame Kitir a très justement démontré en commission qu’en bloquant les revenus mais en laissant les loyers augmenter, ce gouvernement va, pour une personne isolée avec enfants qui a une rémunération annuelle nette de 1.500 euros, diminuer ses revenus de 360 euros par an et augmenter le loyer moyen de 135 euros par an sans compter le blocage des allocations familiales ; Vous imaginez la situation !

 

- Permettez-moi de confronter cette mesure à l’intitulé de votre projet: promouvoir l’emploi, c’est donc cela, pour vous? Réduire le pouvoir d’achat des travailleurs, des pensionnés, des chômeurs, des invalides ?

 

- Bien sur, il faut être correct, dans certaines situations, votre réforme des frais forfaitaires vient adoucir la mesure, sans jamais la neutraliser. Car un travailleur à bas revenus doit assumer les impôts consommation que vous avez décidés, va voir ses allocations familiales ou autres rabotées et son loyer augmenter. Mais à coté des pertes de revenus généralisées des travailleurs, puis-je attirer l’attention sur la situation des pensionnés. Eux ne bénéficient pas de la réforme des frais forfaitaires et ils doivent assumer les conséquences de la non-indexation des plafonds fiscaux revenus de remplacement.

 

- Promouvoir l’emploi, est-ce retirer 944 euros annuellement à un pensionné qui touche chaque mois 1500 euros bruts ?

 

Et qu’on ne vienne pas radoter sur la compensation par les allocations bien-être.

 

Ces pensionnés avaient droit à l’indexation plus le bien être. Ils n’ont plus droit qu’à l’adaptation bien-être qui a en plus été diminuée.

 

Le gouvernement a en effet modifié la loi de telle sorte que l’enveloppe diminue, à l’horizon 2018, de plus de 300 millions d’euros. Ce qui justifie pour lui cette modification c’est le transfert des allocations familiales aux Communautés.

 

Le problème c’est que l’enveloppe bien-être n’a jamais permis d’augmenter les allocations familiales. Leur transfert aux entités fédérées ne devrait donc avoir aucun impact sur le montant de l’enveloppe. Il s’agit donc bien d’une diminution de l’enveloppe injustifiée.

 

Or, à l’exception de la N-VA, tous les partis du gouvernement l’entendaient comme cela car ils ont voté la loi spéciale de financement qui indiquait explicitement que le transfert des allocations familiales n’aurait aucune conséquence sur le montant de l’enveloppe "bien-être".

 

Aujourd’hui, ils l’entendent autrement pour justifier leur choix politique de diminuer l’enveloppe…

 

Par ailleurs, le gouvernement avait prévu d’augmenter l’enveloppe "bien-être" de 127 millions d’euros pour « corriger socialement » les effets du saut d’index. Le premier ministre l’avait dit officiellement devant cette assemblée. Mais finalement ils ne seront pas attribués à cela.

 

Les paroles s’envolent… comme le dit le proverbe.

 

 

Mesdames et Messieurs,

 

Ce projet contient d’autres dispositions qui font mentir le titre « promotion de l’emploi ».

 

Ainsi :

 

2. Sur la formation

 

Notre pays est en deçà des moyennes européennes d’investissement pour la formation et la recherche innovation.

 

L’analyse des efforts réalisés dans notre pays, analyse faite par le collège d’experts compétitivité-emploi, a démontré qu’il fallait préciser le cadre de travail et en particulier la manière de mesurer l’objectif de 1,9 % fixé par les partenaires sociaux. Il y a donc un problème d’application.

 

Plutôt que de proposer des solutions avec les partenaires sociaux, le gouvernement commence par effacer les sanctions pour les employeurs qui ne respectent pas leurs obligations et pour le reste, on verra plus tard.


Quelle différence de traitement entre travailleurs et entreprises. Pour les uns, on diminue leur salaire et pour les autres, on diminue leurs obligations !

 

Et vous avez dit « promotion de l’emploi » !

 

3. Sur la compétitivité

 

Selon le gouvernement, pour rétablir la compétitivité, il faut résorber rapidement l’écart salarial et pour résorber l’écart salarial, il faut imposer un saut d’index.

 

D’abord, c’est bizarre que cette parole soit portée par monsieur Peeters qui avait dit, avant les élections bien sûr, que la résorption du handicap salarial ne sera pas réalisée en réduisant le salaire des gens. Toujours ces paroles qui s’envolent ...

 

Mais de toute façon, faut-il faire un saut d’index pour résorber l’écart salarial ?

 

La réponse est NON. Les mesures du pacte de compétitivité décidées sous l’ancien gouvernement et l’évolution des salaires en Allemagne, France et Pays bas, nos 3 pays de référence, permettent de résorber l’écart sans aucun problème ; Et avec une modération dans les augmentations salariales, comme négocié avec les partenaires sociaux, le secrétaire du Conseil Central de l’Economie a pu dire que l’écart serait absorbé en deux ans sans saut d’index !

 

Autrement dit, la compétitivité est une excuse pour prendre une mesure défavorable aux travailleurs et, comme il n’y a dans le même temps aucune obligation d’embauche pour que les entreprises profitent du cadeau, cela nuit gravement aux politiques actives d’emploi et à la croissance.

 

En effet, vous vous apprêtez à approuver les anciennes recettes de l’austérité.

 

Depuis le crédo du tout à l’austérité après la crise (financière ! bancaire !) de 2008, l’Europe n’a cessé d’imposer des coupes budgétaires et des trajectoires budgétaires dures et vous savez que notamment le PS avait refusé l’application pure et dure des trajectoires. Et le dernier gouvernement a pris une tangente pour refuser les diktats européens.

 

Mais le constat en Europe est sidérant. Non seulement, la croissance économique peine à s’améliorer, mais également l’attaque en règle de l’austérité sur nos systèmes de protection sociale, a fait que les inégalités ont augmenté en Europe : selon Eurostat, le taux de pauvreté en Europe a augmenté de 16,4 à 16,9% depuis 2008. Je vous donne un chiffre plus parlant : depuis 2008, il y a 3,7 millions de pauvres de plus en Europe !

 

Et maintenant que – enfin ! – les instances européennes commencent à se rendre compte que pour sortir de la crise, il faut stimuler le pouvoir d’achat de la population, en Belgique, le gouvernement de droite – libéré – va s’attaquer au pouvoir d’achat des belges en procédant à un saut d’index. Une mesure injuste et inefficace dans un contexte où l’on a besoin de relance.

 

4. Sur la justice fiscale et sociale

 

Cette mesure du saut d’index est donc, je le répète, inefficace et injuste. Et cette injustice, c’est le fil rouge qui court dans le document :

 

Comme Mr Daerden l’a fait remarquer en Commission, les hasards du calendrier font parfois bien ou mal les choses : le jour où ce projet a été discuté en Commission, on annonçait dans la presse que les entreprises du BEL 20 distribueront cette année près de 11 milliard d’euros à leurs actionnaires. Ce qui est à peu près l’effort budgétaire que doit consentir le gouvernement à horizon 2018.

 

Et malgré cela, aucun effort n’est demandé aux actionnaires alors que les travailleurs et pensionnés vont subir des pertes de revenus !

 

Il est ainsi très éclairant de constater que le gouvernement veut, à l’article 3 du projet, abroger certains articles de l’arrêté royal du 24 décembre 1993 portant exécution de la loi du 6 janvier 1989 de sauvegarde de la compétitivité du pays, confirmée par la loi du 30 mars 1994. Ces articles démontrent pourtant qu’il y a 20 ans, lorsque le gouvernement de Jean-Luc Dehaene avait imposé une modération des salaires, il avait également imposé des efforts aux bénéficiaires d’autres revenus comme les dividendes, les honoraires, les tantièmes, les tarifs des notaires et huissiers de justice…

 

Dans cette logique, n’aurait-il pas fallu que le gouvernement mette à jour ces dispositions ?

 

Le gouvernement n’en fait rien ! Ainsi, les dividendes, les tantièmes, les tarifs des notaires et huissiers de justice, les prix des assurances, de l’énergie, … continueront à augmenter lorsque le salaire des travailleurs diminuera.

 

L’injustice est bien le fil rouge de la réforme !

 

 

Madame, Monsieur le Ministre,

Chers collègues,

 

Oui, ce projet de loi, ce saut d’index est particulièrement choquant.

 

Totalement injuste pour la population qu’on appauvrit, il est inefficace en termes de croissance économique.

 

Mais voilà, il fallait une mesure symbolique pour montrer la rupture.

 

Pas la rupture avec le passé : le saut d’index est une vieille recette utilisée dans les années 80.

 

Mais une rupture dans les politiques dirigées vers le souci du bien être de la population.

 

De kracht van de verandering… on devrait parler de kracht van de oplossingen uit het verleden.

 

Je plains ceux qui, dans la majorité n’approuvent pas ce genre de politique mais doivent la subir.


Et en même temps, je me dis que cela interroge la sincérité de leurs convictions.

 

Le compromis est toujours nécessaire dans notre pays.

 

Mais compromis ne veut pas dire soumission, lâcheté de la soumission.

 

Ce projet est, je le disais, parfaitement injuste.

 

Mais il démontre aussi que ce gouvernement est fort avec les faibles, pour leur imposer de mauvaises mesures et faible avec les riches- qu’on préserve à tout prix.

 

C’est effectivement dans ce sens que je le trouve non seulement choquant mais aussi honteux pour notre pays.

(NB: seul le texte prononcé fait foi)

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