Déclaration gouvernementale: intervention d'Eric Massin sur le chapitre "Lutte contre la pauvreté"

Monsieur le président, j'étais passablement intéressé par le discours du premier ministre, surtout dans sa partie sur la prise en considération de ces Belges qui vivent sous le seuil de pauvreté: 15 %, c'est énorme! J'étais très heureux car il indiquait que cette situation était indigne pour notre pays. Je partage tout à fait cet avis. Personne ne peut être indifférent.

 

Cependant, je me pose tout de même une petite question préalable. Avant, nous avions une cohérence dans l'action dans le cadre du Plan fédéral de lutte contre la pauvreté. Nous avions une secrétaire d'État qui pilotait l'Intégration sociale et la lutte contre la pauvreté. Ici, j'ai une secrétaire d'État qui gère la lutte contre la pauvreté et un ministre qui pilote l'intégration sociale. Qui va donner des ordres à qui? Qui va piloter l'ensemble des politiques? Selon moi, il faudrait clarifier les choses. Peut-être un accord de coopération sera-t-il signé entre les deux. Il serait peut-être intéressant de savoir à qui s'adresser.

 

S'il y a un plan fédéral de lutte contre la pauvreté, il y a toute une série de choses qui vont être traduites dans le cadre de la politique d'intégration sociale. Si je suis logique, ce devrait être la secrétaire d'État qui donne des ordres au ministre.

 

De même, il faudrait clarifier le rôle des CPAS. Étant moi-même président de CPAS, je suis content que vous citiez souvent les CPAS dans l'accord de gouvernement. Vous y indiquez qu'il faut travailler avec eux, qu'il faut améliorer le fonctionnement, qu'il faut impliquer les CPAS et même les consulter pour la mise en oeuvre de certaines politiques. Toutefois, en page 51 de l'accord de gouvernement, vous indiquez in fine que "le gouvernement fédéral modifiera le cadre légal afin de permettre une intégration organique des administrations communales et des CPAS. Il veillera à que les missions actuelles des CPAS relatives à l'aide sociale soient toujours garanties dans le respect de la vie privée". C'est la moindre des choses.

 

Je vous rappelle que les assistants sociaux sont astreints au secret professionnel et que des garanties sont nécessaires pour assurer la professionnalité de l'aide.

 

Il y a une déclaration de politique régionale en Flandre et en Wallonie, sauf qu'en Wallonie, c'est une possibilité et non une obligation. Il serait opportun d'inscrire ici qu'il s'agit d'une possibilité et non d'une obligation. Ce n'est pas indiqué tel quel dans l'accord de gouvernement, mais je vous remercie pour votre précision. Cela a quand même tendance à rassurer les CPAS. En effet, j'ignore si de nombreuses personnes ayant travaillé au sein des CPAS, vous ont donné des conseils. En tout cas, pour rédiger tout ce qui était relatif à l'accord de gouvernement pour la protection sociale et la lutte contre la pauvreté, il importe de tenir compte de certaines spécificités dans le travail et un CPAS n'est pas une ville. Je pense que votre présidente, qui siège au sein du comité directeur de la fédération des CPAS, pourra vous le dire.

 

Par ailleurs, la lutte contre la pauvreté est un élément essentiel dans une société démocratique. Vous prenez un engagement fort et l'engagement fort, c'est de se dire à un moment donné que je lutte contre la pauvreté et non contre les pauvres. Voilà un engagement politique fort! En effet, dans le cadre de votre accord de gouvernement, vous précisez quand même que, demain, en fonction des mesures socio-économiques qui seront prises, il y aura un accroissement du nombre de bénéficiaires du revenu d'intégration. C'est quand même augmenter la pauvreté. C'est la raison pour laquelle je vous dis de lutter contre la pauvreté mais pas contre les pauvres.

 

Certes, des mesures seront prises. Des interventions complémentaires interviendront. Personnellement, j'aurais préféré, dans le cadre d'un engagement fort, que vous confirmiez les mesures antérieures prises par exemple à l'égard des CPAS, comme les mesures de fin du stage d'insertion. On a pris la décision à l'époque du remboursement intégral dans le chef des CPAS du revenu d'intégration qui était versé plus un montant pour couvrir les frais de fonctionnement. Il en était de même pour l'exclusion du chômage à la suite du contrôle. Vous le savez, une vieille revendication de l'intégralité des CPAS de Belgique, ce sont les trois fédérations qui le disent: ce sont les dizaines de millions d'euros que l'État fédéral doit aux CPAS.

 

Ca je crois que c'aurait été un engagement fort, non pas de dire 'je vais faire ça, ça et ça' mais simplement de confirmer les décisions antérieures qui avaient été prises. J'ai eu beau regarder, j'ai eu beau chercher, je n'ai pas trouvé.

 

J'ai toute une série d'inconnues. Il y a des engagements, oui, mais il y a toute une série d'inconnues en termes de financement et là, je suis inquiet, non pas parce qu'ils figurent dans l'accord, pas nécessairement ce qui figure dans le tableau budgétaire que vous nous avez transmis mais plutôt ce dont la presse se faisait écho et ce qui nous a permis d'ailleurs sans doute d'avoir le tableau budgétaire. Avec des diminutions relativement importantes manifestement: Fonds social mazout: moins 9 millions d'euros en 2015, 2016, 2017, 2018.

 

Diminution de l'âge pour la demande de l'allocation d'insertion: on passe de 30 ans à 25 ans. 47 millions en 2015. 141 millions en 2017.

 

J'ai entendu M. Borsus tout à l'heure, je vais y revenir.

 

Et le droit à l'allocation d'insertion ouvert après l'obtention du diplôme ou du certificat correspondant au niveau d'études requis actuellement pour être admis. Conditions levées quand le demandeur a 21 ans.

 

Moins 15 millions d'euros en 2015. C'est la presse qui s'en fait écho. Ils se trompent peut-être, c'est possible.

 

Mais si c'est ça, ça nous fait non pas des dizaines mais des centaines de millions d'euros en pilotage, c'est-à-dire après la mise en œuvre des mesures, c'est-à-dire en 2016-2017.

 

Je n'appelle pas ça lutter contre la pauvreté. J'appelle ça aussi lutter contre les pauvres. C'est-à-dire eux qui sont déjà en difficulté, vous allez les faire raquer et entraîner des diminutions d'obtention de moyens financiers pour les personnes qui en ont besoin.

 

Vous savez à combien s'élève le revenu d'intégration pour une personne isolée? 817 euros. Et encore par rapport à ça, on précise tout à l'heure, monsieur Borsus, qu'on va aller vers les 1 000 euros qui est le minimum européen, mais on doit tenir compte de tous les autres avantages qui sont octroyés, comme le Fonds Énergie, comme les avances-locations, comme les garanties locatives, etc. pour diminuer le montant de la location.

 

Donc, ce que vous allez donner d'une main, vous allez le reprendre de l'autre.

 

Je tiens quand même à rappeler aussi, alors qu'on fustige la fraude sociale, qu'une étude du SPPIS est sortie. C'est moins de 4 % en Belgique. En moyenne, 1 500 euros. Ça, c'est la réalité de la fraude sociale. Je crois qu'il n'y a pas de comparaison par rapport à la fraude fiscale, malgré ce qui a été dit tout à l'heure.

 

Il ne faut pas non plus dire qu'un pauvre, un bénéficiaire du revenu d'intégration, c'est un fainéant. Quand je lis en page 48: "In fine, lors de l'affectation des enveloppes, il sera veillé à éviter les pièges à l'emploi" – d'accord – "et à l'inactivité". Vous croyez qu'ils sont tous inactifs? Vous croyez que c'est volontairement qu'ils refuseraient des emplois?

 

Vous avez dans la loi l'obligation de la disponibilité sur le marché de l'emploi pour un bénéficiaire du revenu d'intégration. Lorsque quelqu'un bénéficie d'un revenu d'intégration, il n'a pas qu'un problème concernant l'emploi. Il a aussi des problèmes de formation. Il a aussi des problèmes de logement. Il a aussi des problèmes de resocialisation. Il a des problèmes familiaux; quelquefois des problèmes de non-paiement de pension alimentaire. Il a des problèmes d'assuétudes. Le travail qui est à faire est global. Lier cela uniquement à l'emploi est fort réducteur.

 

C'est ce qu'essaie de faire par les article 60, article 61, par la formation; j'essaie de faire ce qui est prévu par la loi: remettre à l'emploi. Mais criminaliser, ça, je ne suis pas d'accord. Si vous voulez qu'on approfondisse encore plus le système, je veux bien essayer de le faire, mais donnez des moyens suffisants! De vrais moyens. Augmentez des budgets, au-delà des pétitions de principe et des simples "je vais faire, je propose".

 

Je termine, je tiens quand même à rappeler, pour le dossier social électronique, que l'intégralité des CPAS, de même que des fédérations de CPAS, se sont prononcées contre. C'est une violation de la confidentialité, du secret professionnel de l'assistant social. Ne criminalisons pas les pauvres.

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