Déclaration gouvernementale: intervention de Frédéric Daerden sur le chapitre "Pensions"

Monsieur le président,

monsieur le premier ministre,

mesdames et messieurs les ministres,

chers collègues,

 

 

vous annoncez un gouvernement de responsabilité. Le problème est que vous faites peser cette responsabilité sur le travailleur, le demandeur d'emploi, le jeune, le fonctionnaire, l'aîné. Ils vont devoir sacrifier une part de leur bien-être pour que votre gouvernement puisse exécuter le cahier des charges de ses mentors, le Voka et la FEB. De ce point de vue, en matière de pensions, on est dans la caricature. C'est sur ce thème que vos attaques à l'égard des Belges sont les plus brutales et les plus injustes, au mépris de la concertation sociale.

 

Monsieur le premier ministre, nous attendrons évidemment de voir les textes et les tableaux budgétaires détaillés pour mesurer l'ampleur réelle des dégâts. Reconnaissez que les éléments sur la table sont indigestes pour la grande majorité de nos concitoyens. On l'a remarqué dans les premiers sondages et nous le constatons également dans nos contacts avec la population et les travailleurs dans les rues, les usines, les supermarchés.

 

C'est indigeste sur la forme et indigeste sur le fond. Sur la forme tout d'abord. Vous avez pris les Belges par surprise sur le recul de l'âge légal de la pension. Rien n'était annoncé dans les programmes des partis de votre majorité. Le nouveau ministre des Pensions, M. Bacquelaine, issu de votre parti, disait encore le 5 octobre dernier sur le plateau de Mise au Point – nous y étions ensemble – qu'il fallait travailler sur l'âge réel du départ à la pension et non sur l'âge légal.

 

Vous-même, avant les élections, vous répondiez dans l'hebdomadaire Le Vif du 22 avril 2014: "Pour le MR, il n'est pas question de toucher à l'âge légal de la retraite à 65 ans!" Reconnaissez que c'est une tromperie inacceptable!

 

Dès lors, banaliser l'impact de vos intentions, comme l'a fait encore dimanche dernier votre collègue Alexander De Croo, c'est une fois de plus tromper les gens. Si votre réforme touche si peu de personnes, quelle est son utilité? En définitive, pouvez-vous nous dire combien de personnes seront impactées par votre réforme?

 

Au-delà, vous vous revendiquez explicitement du rapport de la Commission Pensions et des recommandations qu'elle a formulées, notamment sur la pension à 67 ans. Vous savez que ce rapport est un immeuble, dont on ne peut acheter les appartements séparément. Que l'on soit ou non d'accord avec ce rapport, il repose sur un équilibre global. Vous allez délibérément le violer en isolant les mesures qui vous arrangent le mieux. Vos références systématiques aux conclusions de la Commission sont donc usurpées. Ses membres ont d'ailleurs et à juste titre déjà pris leurs distances avec les principales mesures que vous voulez prendre. Je précise que vous voulez les appliquer brutalement, alors qu'ils préconisent une transition longue. Nous verrons dans les chiffres budgétaires.

 

Sur le fond, personne ne nie qu'il faille répondre à l'enjeu de la soutenabilité du financement des pensions, afin de garantir la pérennité de ce pan fondamental de la sécurité de l'existence. Personne ne nie qu'il y a une augmentation de l'espérance de vie. On doit s'en réjouir! Mais on parle trop peu de l'espérance de vie en bonne santé, qui est différente selon les genres et les régions. En Belgique, elle est de 65 ans et demi, plus jeune que l'âge que vous préconisez pour l'âge de la retraite. Il faut en tenir compte. Nous ne pouvons prôner l'immobilisme, c'est évident, mais de grâce, ne tombons pas dans l'alarmisme!

 

Monsieur le ministre des Pensions, vous prenez plaisir - vous me l'avez encore dit hier - à mentionner que l'un de vos prédécesseurs, qui m'est cher et qui est l'auteur du groen boek relevait la nécessité de travailler en moyenne trois ans de plus.

 

Mais alors que le problème concerne l'âge effectif de départ à la pension, vous répondez en reculant l'âge légal. Vous manquez complètement la cible. Cette mesure n'a aucun sens si ce n'est de contenter le patronat et donner des gages à une Commission européenne qui formule des propositions au mépris de notre modèle social et économiquement contre-productives. Je vous ferai remarquer que même l'Allemagne, dont le modèle socio-économique semble vous inspirer, a baissé pour plus d'un tiers des salariés l'âge de la retraite de 65 à 63 ans.

 

Monsieur le premier ministre, c'est à la vie des gens, à la vie de M. et Mme Tout le Monde que vous vous attaquez. Et cela, vous n'arriverez pas à l'occulter. Certes, les propositions que vous formulez comptent quand même quelques éléments positifs, soyons objectifs. Je citerai l'alignement de la pension des indépendants isolés à celle des salariés. Il m'est agréable de constater que vous poursuivez le travail du gouvernement précédent qui avait revalorisé les pensions des indépendants chefs de ménage. L'augmentation de la Grapa. L'engagement de prendre des dispositions spécifiques pour les métiers lourds en concertation avec les partenaires sociaux.

 

Mais les éléments négatifs sont d'une telle ampleur, monsieur le premier ministre! Vous aviez 'Walter le libraire'; permettez-moi de vous parler de 'Gaston le maçon', qui travaille depuis ses 18 ans et qui, avec votre durcissement de la pension anticipée, devra encore monter sur les échafaudages jusqu'à 61 ans. Comme l'a dit Mme Laurette Onkelinx, c'est insensé. Ou encore, 'Claire la fonctionnaire' qui est enseignante et qui verra sa pension diminuer d'un quart avec votre attaque frontale contre les pensions dans les services publics. C'est une remise en question unilatérale des engagements vis-à-vis de personnes au travail depuis des années.

 

Par ailleurs, les gens ne veulent pas vivre dans l'insécurité. La pension à points crée l'incertitude. C'est un moyen qui mérite que l'on s'y intéresse. Néanmoins, la valeur du point restant inconnue, le système est porteur d'incertitude et pourrait être porteur d'injustice, puisqu'il fera des pensions une variable d'ajustement du budget de l'État. C'est totalement insécurisant.

 

Je résumerai votre réforme en quelques mots: travailler plus pour gagner moins! Travailler plus: les restrictions d'accès à la pension, le durcissement des conditions d'accès à la pension anticipée et à la pension de survie. Gagner moins: la non-prise en compte des années d'études pour le calcul de la pension ou encore les changements de critères sur les périodes assimilées.

 

Votre réforme est aussi un renforcement du deuxième pilier de pension. Vous donnez peu de garanties sur le caractère complémentaire au premier pilier et sur sa gestion en concertation sociale. Mais ce qui me choque le plus, c'est que vous justifiez cette réforme par un supposé fatalisme. Comme si la nécessité s'imposait à vous et que seul un sens aigu des responsabilité vous permettait de regarder la réalité en face.

 

Avec votre accord de gouvernement dit socio-économique, c'est à la majorité des Belges de passer à la caisse pour payer l'addition. Jamais les détenteurs de capitaux importants ne sont sollicités, jamais les propriétaires de grands patrimoines ne sont mis à contribution.

 

Monsieur le premier ministre, jamais nous ne laisserons passer ce discours abusif mais, comme je vous l'ai dit, nous ne prônons pas l'immobilisme. D'autres solutions existent pour renforcer notre système des pensions, sans faire supporter tout le poids de l'effort sur les épaules des seuls travailleurs. On doit favoriser l'augmentation générale du taux d'emploi pour toutes les tranches d'âge, pour les jeunes et aussi pour les travailleurs au-delà de 55 ans, au travers notamment d'aménagements de fin de carrière. Des obligations doivent être mises aux employeurs dans ce sens.

 

On doit augmenter le taux d'emploi au-delà de 55 ans mais certainement pas en supprimant le bonus emploi. On doit élargir l'assiette de financement de notre système des pensions. Une taxe sur les plus-values pourrait y contribuer. Faire contribuer les détenteurs de capitaux afin d'épargner les pensions de centaines de milliers de travailleurs belges et assurer un premier pilier de pension renforcé. Une autre fiscalité sur les deuxième et troisième piliers au bénéfice du premier pourrait y contribuer aussi.

 

Vous l'aurez compris, au PS, nous sommes pour une réforme des pensions juste, au bénéfice du plus grand nombre, qui ne profite pas qu'aux banques et aux assurances dans le cadre d'une politique globale de sécurité d'existence pour tous, qui intègre la lutte contre la pauvreté, les soins de santé, la lutte contre le chômage des jeunes, une fiscalité et une politique de l'emploi. Assurer une pension décente aux salariés, aux fonctionnaires et aux indépendants, c'est la responsabilité et l'honneur d'un État. C'est être reconnaissant avec ceux qui ont contribué à créer la richesse de notre pays.

 

C'est leur permettre de profiter d'un repos bien mérité et serein, en tendant vers un montant de pension qui leur assure le seuil de bien-être. Ce que vous proposez est tout le contraire.

 

C'est une réforme injuste, inefficace et donc inacceptable pour nous.

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