Intervention de Gwenaëlle Grovonius sur le service minimum à la SNCB

Monsieur le président, chers collègues, ce projet de loi est un peu à l'image de ce gouvernement. À savoir: antisocial et inefficace. Ce gouvernement travaille à coups d'écrans de fumée pour cacher ses mesures d'austérité dans le dossier qui nous occupe: 3 milliards d'économies, 6 000 cheminots en moins d'ici 2020, 800 kilomètres de lignes rurales en moins, 33 guichets qui vont être fermés, des chiffres de ponctualité catastrophiques. J'en passe, et des meilleures.

 

Ce gouvernement, comme ce projet de loi, est déconnecté des réalités, au point qu'en plus, il ne veut pas les entendre. C'est ainsi que lorsque nous avons demandé des auditions en commission sur ce projet de loi, elles nous ont tout simplement été refusées. Évidemment, il n'y a aucune envie d'être confronté aux réalités des navetteurs, ni à celles des travailleurs et des représentants syndicaux.

 

Déconnecté des réalités des navetteurs, tout d'abord. Il ne faut pas se leurrer, les navetteurs ne sont pas dupes. D'ailleurs, lorsque vous dites que vous les écoutez, les écoutez-vous vraiment? Nous écoutez-vous, en tant que navetteurs? Pour ce qui me concerne, c'est le cas. Je vais essayer d'en être le relais ce soir.

 

Prenons l'association navetteurs.be, pour ne citer qu'elle, et son avis par rapport à ce projet de loi. Que dit navetteurs.be? Tout d'abord, et je suis bien d'accord avec eux, qu'il faut essayer d'éviter les grèves. La meilleure grève est évidemment celle qui n'a pas lieu. Mais navetteurs.be dit aussi toutes ses craintes en matière de sécurité et de confort face à ce projet de loi.

 

Il pointe aussi du doigt la diminution de marge de manœuvre que les cheminots auront, à l'avenir, face à leur employeur.

 

Enfin, – et nous devons également souligner ce point –  tout comme Navetteurs.be, nous demandons que le gouvernement mette l'accent sur de vraies priorités.

 

Quelles sont ces vraies priorités? La présentation ici au parlement d'un contrat de gestion dont nous pourrons discuter. Le dépôt sur nos bancs d'un plan pluriannuel d'investissement dont nous pourrons également discuter. Mais on préfère évidemment laisser tout cela de côté pour venir avec des projets de loi qui ne sont favorables ni aux usagers, ni aux cheminots, mais qui sont purement et simplement des projets idéologiques. Il faut dire que ce projet répond à une demande de longue date de la FEB. Il n'a donc été élaboré que pour faire plaisir au patronat et à un des partenaires de la majorité qui n'est autre que la N-VA.

 

Comme je viens de le dire, ce projet était demandé depuis longtemps par la FEB non pas pour faciliter la mobilité dans notre pays, non pas pour améliorer d'une quelconque manière le trafic ferroviaire, mais pour affaiblir le droit de grève. En effet, d'un point de vue idéologique, pour le patronat, le droit de grève constitue quelque chose de trop.

 

Mais venons-en au fond du projet de loi à l'examen! Navetteurs.be et les auditions des représentants de l'entreprise SNCB nous ont démontré à quel point ce projet était finalement impraticable. En effet, dans le meilleur des cas, il faudra mobiliser pour certaines fonctions pourtant nécessaires, comme les fonctions de sécurité, 85 à 100 % du personnel. Comment peut-on garantir le respect du droit de grève tout en assurant un service soi-disant minimum?

 

J'en arrive ainsi aux problèmes de sécurité soulevés par les navetteurs, les cheminots.

 

Dans le meilleur scénario possible, seul un train sur quatre pourra rouler. À peu près deux voyageurs sur dix pourront monter dans un train. Imaginez la cohue sur les quais. Qui va pouvoir choisir qui monte ou qui ne monte pas? Va-t-on octroyer des tickets à l'entrée des quais à ceux qui pourront effectivement monter dans leur train? Tout cela semble impraticable.

 

La question de la responsabilité en cas d'accident est, évidemment, mise en avant. L'accompagnateur de train sera-t-il responsable? Et puisque j'en viens à parler du personnel, qui va assurer sa sécurité quand les voyageurs vont se disputer pour pouvoir prendre le train? Ne craint-on pas une augmentation du nombre d'agressions vis-à-vis du personnel de la SNCB qui va être confronté à ces difficultés?

 

Ces questions ont évidemment été posées mais n'ont pas reçu de réponse. De même, comment un travailleur va-t-il pouvoir expliquer à son patron qu'il n'a pas été en mesure d'arriver au travail, une fois que ce service minimum sera instauré? Le ministre n'a pas non plus donné de réponse à cette question.

 

Vous êtes déconnecté des réalités des navetteurs et des cheminots. Lorsqu'on parle des jours de grève de 2014, c'est bien. Mais je vais vous dire une chose: avant que ce projet de loi ne soit déposé, dans l'année qui a précédé, il n'y a pas eu un seul jour de grève. Par contre, il est vrai que les effectifs ont été réduits, alors qu'il était demandé au personnel d'accroître la productivité, que le statut des cheminots a été modifié, ainsi que leur pension, que les menaces de privatisation ont fréquemment été prononcées… J'en passe et des meilleures.

 

Quel mépris pour les travailleurs et le dialogue social quand on vient avec un tel projet de loi sur le service minimum!

 

Quelles sont les conséquences d'un tel projet sur le dialogue social? Tout d'abord, cela va affaiblir le travailleur à titre individuel. Les pressions qui seront exercées sur lui à l'avenir seront bien évidemment plus grandes qu'aujourd'hui. Demain, chaque travailleur va devoir de manière individuelle se déclarer en grève ou pas. Dans un contexte où on augmente le nombre d'engagements de contractuels, j'aimerais savoir quelle sera encore la liberté réelle laissée aux cheminots pour pouvoir exercer leur droit de grève.

 

Une autre conséquence de l'affaiblissement du dialogue social est évidemment de voir augmenter le risque d'avoir des mouvements de grève qui, finalement, ne sont pas encadrés. Lorsqu'on affaiblit le dialogue social, lorsqu'on affaiblit les organisations syndicales, on risque de voir des travailleurs susciter des mouvements spontanés, des grèves sauvages. C'est ce que vous voulez éviter, madame De Coninck. Pourtant, ce projet de loi ne répond absolument pas à cette problématique. Je pense même – et je ne suis pas la seule à le dire – qu'il l'amplifiera de manière conséquente. Ce projet de loi n'arrange donc rien. Il va même, selon toute vraisemblance, augmenter le chaos.

 

Comme je l'ai dit, je veux discuter du fond. J'en viens donc à présent à la question de la légalité, parce que, au final, vous avez peu cité l'avis du Conseil d'État, comme si celui avait été absent. Pourtant, cet avis comportait des éléments intéressants, en tout cas pour ceux qui, comme moi, ne souhaitent pas faire strictement de l'idéologie mais veulent mettre sur pied des projets ambitieux réellement à l'avantage des navetteurs et des travailleurs de la SNCB.

 

D'un point de vue de la légalité, les critiques du Conseil d'État sont claires. Le Conseil d'État se positionne par rapport aux traités  internationaux existants et par rapport aux principes qu'ils contiennent, notamment en matière de droit de grève. Pour le Conseil d'État, c'est très clair. Ce projet de loi porte atteinte au droit de grève et à l'action collective. Ce que le Conseil d'État pointe ensuite, c'est de savoir si cela est bien nécessaire. Cela rencontre-t-il les besoins essentiels de la population? Malheureusement, ces besoins ne sont pas définis dans ce projet de loi. Cela permet au Conseil d'État de conclure qu'il y a bien, dans ce cadre, une atteinte disproportionnée au droit de grève et à l'action collective. Je sais qu'aux yeux de certains, le Conseil d'État n'a aucune forme d'importance mais, pour ce qui me concerne, je trouve que ces éléments doivent faire l'objet de l'attention qu'ils méritent.

 

Chers collègues, je conclurai par ces quelques mots. Cela ne vous étonnera pas: mon groupe et moi-même voterons contre ce projet de loi, à juste titre. En effet, ce projet a bien plus de chances d'organiser le chaos maximum que d'organiser un réel service minimum. Vous pouvez rire, madame De Coninck, mais ce que les usagers du train souhaitent, c'est disposer tous les jours d'un service maximum du rail, qui fonctionne 365 jours sur 365. Ils veulent un respect du dialogue social, et que vous donniez les moyens pour assurer plus de ponctualité, plus de sécurité, plus de confort, un meilleur accueil pour les usagers, et surtout pour apporter des améliorations aux conditions de travail. Ils veulent un service au public qui soit un service maximum, et non le service minimum que vous nous vendez. C'est ce que les usagers et les cheminots demandent. Il est grand temps que vous écoutiez les navetteurs et les travailleurs du rail. Vous ne devriez d'ailleurs pas seulement les écouter, mais les entendre enfin, parce que jusqu'à présent, vous êtes restés complètement sourds à leurs demandes et à leurs préoccupations.