Question de Karine Lalieux à Koen Geens, ministre de la Justice, sur la transaction pénale accordée à Bernard Arnault

Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, nous nous souvenons tous, pour ceux qui étaient présents, qu'en 2013, M. Bernard Arnault a essayé de devenir belge, non pas par amour de la Belgique, mais simplement pour échapper à l'impôt français. Avec d'autres collègues de la commission, nous avons refusé cette naturalisation, unanimement.

 

Avec une fortune de 35 milliards d'euros, M. Arnault estime qu'il n'a pas les moyens de participer à la collectivité, de payer l'impôt en France. Il essaie d'être belge, pour échapper à l'État français et aux impôts français. Mais, en plus, il ne respecte pas les lois belges puisqu'il réalise une fausse domiciliation. Maintenant, nous apprenons qu'après Chodiev et ses associés des grandes banques et des grandes sociétés, il bénéficie aussi d'une transaction pénale.

 

Nous l'avons dit, les travaux de la commission d'enquête Kazakhgate sont en cours. Un arrêt de la Cour constitutionnelle n'a pas encore été traduit en loi. Nous constatons que des transactions pénales sont toujours réalisées pour de richissimes fraudeurs.

 

Le minimum, en tant que ministre de la Justice, c'est de rendre la justice, la vraie justice, l'égalité. Que nous  soyons riches ou pauvres, la justice est égale et s'applique de la même façon à chacun.

 

Monsieur le ministre, j'aimerais vous poser quelques questions sur cette transaction pénale. Un juge d'instruction a-t-il été saisi? Ou n'y a-t-il eu qu'un stade: celui de l'information? Pour quel type d'infraction Bernard Arnault a-t-il bénéficié de cette transaction pénale? Quel était le montant de celle-ci? Cette transaction est-elle conforme à l'arrêt de la Cour constitutionnelle, qui date de 2016 et qui est connu par tous et par l'ensemble des magistrats? Le Collège des procureurs généraux a-t-il réalisé une circulaire pour savoir comment appliquer cette transaction pénale depuis l'arrêt de la Cour constitutionnelle? Nous sommes en train d'auditionner l'ensemble des procureurs généraux, et je peux vous garantir que leurs réponses sont quelque peu chaotiques.

Réponse de Koen Geens

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, permettez-moi d'abord une comparaison, une explication peut-être un peu pédagogique, mais Mme Lalieux l'appelait dans sa question.

 

Il y a trois moments où une transaction peut intervenir: avant l'ouverture de l'instruction criminelle et le début de l'action publique; en deuxième phase, entre la requête ou le début de l'action publique et le jugement en première instance; en troisième phase, après le jugement en première instance.

Dans la loi pot-pourri II, la troisième phase a été supprimée. Il n’est désormais plus possible de conclure une transaction pénale élargie après un jugement rendu en première instance et c’est une bonne chose. L’article 216 bis n’a été réinterprété par la Cour constitutionnelle que sur le plan de la question préjudicielle. C’est pourquoi les parquets ont diffusé une circulaire en attendant qu’une nouvelle disposition légale garantisse un contrôle du juge après la conclusion de la transaction pénale élargie.

 

Comme Mme Lalieux l’a justement suggéré, la transaction élargie concerne la phase 2, après que l'action publique a été entamée. C'est l'article 216bis. En l'espèce, le procureur compétent de Bruxelles m'assure qu'on était dans la phase 1 où l'article 216bis ne trouve pas à s'appliquer. Ce n'est pas une transaction pénale élargie. C'est une simple transaction pénale qui, comme toutes les autres transactions, échappe à tout contrôle du ministre de la Justice.

 

Donc, la seule chose que je veux vous dire par rapport à la transaction qui a été conclue avec M. Arnault, c'est qu'en l'espèce, il s'agit d'une transaction pénale simple, contrairement à ce qu'on pourrait lire dans une certaine presse, à savoir que l'action publique n'aurait pas été entamée. Je répète qu'il s'agit d'une transaction pénale simple qui n'a rien à voir avec la circulaire dont je vous ai parlé dans ce parlement, voici trois semaines.

La transaction pénale qui a été conclue ici a été instaurée avant l’action publique. Aucun juge d’instruction n’a été saisi. De ce fait, elle échappe aux règles de la transaction pénale élargie. Il s’agit simplement d’une transaction pénale au sujet de laquelle la Cour constitutionnelle n’a rien précisé dans son arrêt rendu le 2 juin 2016.

Réplique de Karine Lalieux

Monsieur le ministre, je vous remercie pour vos réponses. Encore une fois, quel contrôle peut-on exercer à propos de cette justice, de cette transaction? Aucun. Quel est l'intérêt de l'État - vous n'avez pas répondu? Aucun.

 

Nous analyserons bien entendu les conclusions de la commission Kazakhgate. Mais la seule impression aujourd'hui, c'est celle d'une justice de riches, d'une justice de classe. Quand on a un nom, une fortune, on échappe à la justice alors que d'autres se retrouvent devant les tribunaux. Il est temps de réformer la transaction pénale et la transaction pénale élargie, monsieur le ministre, parce que nous n'avons plus l'impression d'une justice égale pour chaque citoyen.