Question de Stéphane Crusnière à Charles Michel, Premier ministre, sur la saisine de la CJUE sur le CETA

 

Monsieur le président, monsieur le premier ministre, 70 % des citoyens interrogés le mois dernier soutiennent la Wallonie et Paul Magnette sur la question du CETA. La société civile, de nombreux agriculteurs, les mutuelles, les syndicats dans leur ensemble, une multitude d'ONG belges et d'acteurs internationaux ont effectivement soutenu cette démarche qui a conduit au nouveau CETA. Cette action a remis au centre des discussions le débat public et les préoccupations citoyennes. C'est comme cela aussi que l'on lutte contre le populisme.

 

Et pourtant, en commission cette semaine, vous avez laissé entendre que l'action de la Wallonie sur le CETA avait terni l'image de la Belgique. Je le regrette, monsieur le premier ministre. Comment osez-vous, quand on voit le nombre de soutiens internationaux qu'a reçus M. Magnette?

 

J'en viens au débat de ce jour, à savoir la saisine de la Cour de justice européenne sur le CETA. Je vous ai déjà interrogé la semaine dernière sur le sujet. J'étais seul, avant que d'aucuns se réveillent aujourd'hui. Serez-vous effectivement, monsieur le premier ministre, celui qui mettra en péril la loyauté fédérale, dont je pensais que vous étiez le garant? Je n'y crois pas, je n'ose pas y croire. Je ne tomberai pas dans le populisme de certains.

 

Pour faire taire ces critiques, monsieur le premier ministre, j'ai une proposition à vous faire: déposez dès aujourd'hui, à la sortie de cette séance plénière, la saisine pour l'avis de la Cour de justice européenne! Vous demandez à la Cour de le faire à la lecture des arrêts précédents, actuels et futurs. Vous pouvez le faire. Cela fera taire toutes les critiques et montrera que vous êtes loyal et respectez cet accord. Alors, monsieur le premier ministre, quand allez-vous déposer cette saisine pour l'avis de la Cour de justice européenne?

Réponse de Charles Michel

Monsieur le président, chers collègues, je voudrais remercier les deux intervenants parce qu'une fois encore je vais tenter de faire la clarté sur cette importante question. Je n'ai pas l'intention de rouvrir le débat sur le CETA en lui-même. Nous avons mené ce débat au parlement, et je m'en suis expliqué en commission, monsieur Crusnière.

 

De quoi s'agit-il? Nous avons effectivement, dans les relations intrabelges, au départ du Comité de concertation, décidé d'exprimer un certain nombre de déclarations ensemble, en lien avec le CETA.

 

Parmi ces déclarations, il en est une qui a été largement distribuée. Ce n'est pas un accord secret. Ce n'est pas un accord confidentiel. C'est une déclaration publique et qui, effectivement, veillait à prendre en compte une préoccupation d'une des entités fédérées. Aussi pouvions-nous envisager de demander un avis et je donne lecture du texte que vous avez cité, monsieur Hellings: "La Belgique demandera un avis à la Cour de justice de l'Union européenne concernant la compatibilité du mécanisme ICS avec les traités européens, notamment à la lumière de l'avis A2/2015".

 

Petite anecdote, sur la mention, il y a eu une erreur matérielle qui a été corrigée. Il n'y a pas de doute, ce fut fait avec un assentiment total. Cela vise bien un avis rendu sur la compétence de l'Union européenne en lien avec le traité qui concerne Singapour. Il n'y a aucun doute à ce sujet .Personne ne conteste le raisonnement en la matière.

 

Mais, monsieur Crusnière, lorsqu'un accord négocié mot à mot, à la virgule près, stipule expressément: "À la lumière de l'avis A2/2015", cela signifie que, pour émettre un avis, on doit disposer du document en question. Vous avez, d'ailleurs, salué la réponse que j'ai exprimée la semaine dernière, lorsque j'ai déclaré qu'il fallait prendre en compte cet avis pour pouvoir lancer la procédure en question. Je n'ai rien fait d'autre que d'expliquer en d'autres termes le contenu de l'accord intrabelge.

 

À ce sujet, je serai clair, car je ne veux aucune polémique intrabelge à cet égard. La loyauté doit être totale sur ce point. J'ai indiqué, il y a plusieurs jours, que le ministre des Affaires étrangères lançait d'ores et déjà le processus. Car, demander un avis à la Cour de justice nécessite une procédure juridique assez lourde et complexe, notamment la rédaction de documents raffinés d'un point de vue juridique. Cela prendra un peu de temps.

 

Je confirme, à nouveau, que nous lançons, dès à présent, les réunions techniques interfédérales, y compris sur ce point-là, pour pouvoir, le moment venu, "à la lumière de la décision qui sera rendue concernant Singapour", apprécier juridiquement la manière dont nous formulons la demande d'avis à la Cour de justice européenne.

 

Pour être complet et éviter les incompréhensions, je voudrais ajouter un autre point de discussion en intrabelge que l'on devra examiner calmement au sein du comité de concertation. Pour émettre une demande d'avis sur un mécanisme ICS, juridictionnel, il faut que les modalités soient connues. Nous avons évoqué les principes, mais les modalités relèveront d'une proposition que la Commission européenne devra soumettre dans le courant de l'année 2017. Je pense que le comité de concertation devra apprécier aussi en fonction du document que la Commission devra déposer et adresser aux différents États membres.

 

Je voudrais couper court à toute polémique qui serait malheureuse sur le sujet. Nous allons, dans les semaines qui viennent, travailler loyalement avec les entités fédérées pour, le moment venu, et à la lumière de la décision qui devra intervenir concernant Singapour, émettre cette demande d'avis.

 

Monsieur Crusnière, cela ne correspond pas à l'accord du comité de concertation, où j'étais présent. Et j'ai rédigé la phrase, madame Onkelinx! Je n'accepte pas qu'on réinterprète cette phrase pour indiquer qu'on pourrait demander cet avis sans disposer de l'avis de la Cour de justice européenne concernant Singapour. Si on dit "à la lumière", c'est bien pour être éclairé dans l'argumentation qui fonde l'avis grâce à l'avis qui sera rendu par la Cour de justice européenne sur le volet "mécanismes juridictionnels". Les choses me semblent limpides à ce sujet!

Réplique de Stéphane Crusnière

Monsieur le premier ministre, je vous remercie pour votre réponse. On entend fréquemment parler d'un "nouvel accord". J'aimerais dire que ce n'était pas la seule avancée dans l'accord. Il y a quand même un instrument interprétatif et dix déclarations, vous l'oubliez!

 

Cependant, monsieur le premier ministre, il y a un point sur lequel je ne suis absolument pas d'accord avec vous. Le texte dit "demandera à la lumière de" et pas "pourra demander à la lumière de". C'est là le point de discordance! Sur l'opportunité, vous n'avez plus à juger! Le débat a eu lieu au sein de l'accord intrabelge et vous devez, maintenant, demander la saisie et l'avis de la Cour de justice européenne. Faites-le dès maintenant en demandant que ce soit fait à la lumière des arrêts. Je vous prie de le faire sinon, nous allons au devant de nombreux problèmes.