Question d'Ahmed Laaouej à Charles Michel, Premier ministre, sur la Taxe Tobin

Monsieur le président, monsieur le premier ministre, vous nous avez annoncé à cette tribune, voici quelques semaines, que vous repreniez le dossier de la réforme de l'impôt des sociétés et de la justice fiscale. Visiblement, cela n'a pas plu à votre partenaire de majorité, la N-VA, qui s'est empressée de vous rappeler que, pour elle, il n'était pas question de fiscalité sur les plus-values. La N-VA n'allait pas en rester là. Accompagnée cette fois d'un autre partenaire de votre majorité, à savoir l'Open Vld, elle a affirmé qu'il fallait renoncer aussi à la taxe sur les transactions financières.

 

On se souvient pourtant que vous aviez affirmé devant nous, comme votre parti, du reste, votre attachement à cette mesure. Rappelons aussi que ce parlement a montré, en 2004 déjà, sa volonté quasi unanime d'avancer sur le dossier ambitieux de la taxe Tobin. Nous arrivons maintenant à un moment décisif où il faut décider.

 

Mais nous apprenons que l'attitude de la Belgique inquiète et étonne nos partenaires. La Commission européenne l'a dit à plusieurs reprises en ces murs. Pas plus tard qu'hier, lors de son audition dans la commission Panama Papers, le commissaire européen Moscovici nous a dit son inquiétude quant à l'attitude du gouvernement belge.

 

La N-VA ne se contente donc pas d'un discours; elle freine clairement les négociations, au risque de les faire capoter.

 

Monsieur le premier ministre, votre discours sur l'Europe, dont vous disiez qu'elle constitue un des plus beaux projets de l'humanité, semble connaître des fossoyeurs au cœur même de votre gouvernement. Pendant que le MR se livre à des incantations des les médias, son partenaire lui coupe les jarrets dans les enceintes européennes. Car il est aujourd'hui avéré, chers collègues, que certains, dans ce parlement, sont au service du lobby de la finance. Et je vous le dis, monsieur Ducarme, vous qui donnez des leçons, vous devriez aussi mettre un cordon sanitaire entre vous et la finance internationale.

 

Monsieur le premier ministre, pouvez-vous affirmer à cette tribune que la Belgique soutient toujours activement la mise en place de la taxe sur les transactions financières? Allez-vous exiger un appui sans faille de votre ministre des Finances N-VA dans les négociations au niveau européen?

Réponse de Charles Michel

La taxe Tobin est en effet une initiative lancée à l'échelon international ces dernières années et la Belgique y a également pris une part importante. À la tribune des Nations Unies, j'ai clairement affirmé que cet instrument représentera une avancée majeure vers une plus grande équité.

 

Donc je confirme sans la moindre hésitation, avec la plus grande clarté, au nom d'ailleurs des quatre formations politiques qui composent la majorité, que nous voulons soutenir le principe d'une taxe sur les transactions financières.

 

Je voudrais également me réjouir de l'enthousiasme avec lequel l'opposition nous demande de mettre en œuvre rapidement l'accord de gouvernement. J'y vois une marque de soutien, une marque de confiance et je vous en remercie.

 

Cependant, je propose à l'opposition - avec beaucoup d'amitié, monsieur Van der Maelen - nous nous sommes dévoilés cet après-midi - de lire l'accord de gouvernement non pas de manière partielle, sélective, mais de manière complète. En effet, un accord intelligent suppose l'existence de quelques nuances.

 

Monsieur Dispa, vous avez fait preuve d'une démonstration pour le moins surprenante, puisque vous avez mis en évidence le premier point.

 

Nous soutiendrons une approche constructive dans le cadre des négociations qui réunissent dix États membres de l'UE, mais il faut aussi lire le paragraphe suivant.

 

Que dit le paragraphe suivant? Il dit que nous voulons nous concentrer sur les transactions qui ont un caractère spéculatif. Et force est de constater qu'à ce stade, en tout cas, ce n'est pas ce qui est sur la table. Par ailleurs, nous voulons avoir la garantie, la certitude qu'il n'y a pas d'impact négatif pour l'économie réelle.

 

Pour ce qui me concerne, je plaide pour que l'on dépassionne le débat, que l'on s'en tienne aux faits et que l'on continue techniquement, au départ de la Belgique, avec nos partenaires, à regarder objectivement quels sont les impacts positifs et quels sont, le cas échéant, les impacts négatifs pour l'économie réelle.

Nous ne sommes pas partisans d'une mesure fiscale aux effets négatifs et qui appauvrirait la population et l'État. Nous avons travaillé d'arrache-pied ces derniers mois au Conseil des ministres restreint et à l'échelon européen. Nous poursuivons la recherche de solutions et souhaitons convaincre d'autres pays.

 

Il s'agit pour la présidence autrichienne de poursuivre le travail de négociation. Voici quelques jours, elle avait décidé de reporter la réunion ministérielle qui était prévue au mois de décembre. C'est bien la démonstration, contrairement à ce que j'entends ici et là, que ce n'est pas la Belgique – quelle fable! – qui, seule, bloquerait l'entrée en vigueur de cette taxe. Si celle-ci était tellement convaincante d'un point de vue technique et si toutes les solutions étaient apportées en termes d'impact sur l'économie réelle, les neuf autres pays pourraient sans aucun problème - et sans la Belgique - annoncer qu'ils avancent. Or ce n'est pas ce qu'il se passe. Dans tous les pays, des inquiétudes portent sur ce que nous avons mis en évidence.

La question est de savoir quels seront les effets sur l'économie réelle, sur la création d'emplois et sur la cohésion sociale.

 

D'un mot, nous soutenons ce projet de manière constructive et poursuivons notre tâche. Bien sûr, nous resterons activement autour de la table en vue de trouver des solutions suffisamment convaincantes pour répondre aux deux préoccupations, objectivement, de bon sens qui ont été exprimées par le gouvernement.

 

Je remercie encore une fois l'opposition pour son large soutien dans ce dossier.

Réplique d'Ahmed Laaouej

Monsieur le président, chers collègues, l'information du jour est très claire: la N-VA dit non à la taxe Tobin et le MR se couche!

 

Mais oui, mais oui! Certaines vérités dérangent. Vous vous couchez une fois de plus devant la N-VA. À l'époque de Didier Reynders, le problème était la City de Londres; maintenant, c'est le Benelux. On aura tout entendu. Et puis, on nous explique qu'on veut viser uniquement les opérations spéculatives. Mais la taxe Tobin a précisément été inventée pour lutter contre la spéculation et pour la prévenir!

 

On nous dit que cette mesure va coûter cher. M. Calomne nous dit: "Quelques millions d'euros", mais quelques millions d'euros sur des dizaines de milliards d'euros, qu'est-ce que cela représente? C'est marginal. Arrêtez d'employer les arguments des lobbies de la finance!

Monsieur le premier ministre, la vraie question est la suivante: avez-vous la maîtrise de votre gouvernement? Nous en avons assez de vos déclarations qui servent à justifier, semaine après semaine, que vous soyez déshabillé par vos partenaires gouvernementaux, et plus particulièrement par la N-VA.

 

La taxe sur les transactions financières n'est pas une taxe de plus, mais une exigence éthique à l'égard d'un secteur financier qui nous a plongés dans l'une des crises économiques les plus graves de notre histoire. Voilà ce qu'est la taxe sur les transactions financières. Arrêtez de relayer les arguments du lobby de la finance internationale. Nous voulons des actes, et pas des discours!