Question d'Eric Massin à Charles Michel, Premier ministre, sur l'affaire "Chodiev/De Decker"

Monsieur le président, monsieur le premier ministre, le nouveau John Le Carré est à disposition jour après jour, semaine après semaine dans les journaux belges et internationaux. On prend un ancien président du Sénat qui, le temps d'une affaire, enfile sa toge, joue les porte-serviettes pour une puissance étrangère et pour des milliardaires empêtrés dans une vaste affaire de fraude et rafle – pour ouvrir des portes et jouer de son influence – des honoraires à hauteur de 700 000 euros. Le tout dans les couloirs feutrés des cours et tribunaux, du Sénat et des cabinets ministériels. Ajoutez de grands juristes, des procureurs généraux, des avocats généraux, des circulaires limpides, des décisions plus troubles. Tous les ingrédients y sont: trahisons, gros sous, richissimes hommes d'affaires étrangers, Élysée, magistrats, sénateurs, ministres, députés, suspicion de justice sur mesure. Cela ne m'étonne pas, au demeurant, que l'on parle autant de Sarkozy.

 

Monsieur le premier ministre, malheureusement, nous ne sommes pas dans un roman. Je tiens à le signaler. Contrairement à d'autres, je ne dirai pas qu'il n'y a pas de fumée sans feu; la présomption d'innocence est fondamentale. Chacun est présumé innocent. Néanmoins, toutes les révélations dans ce dossier sont extrêmement troublantes. Comment expliquer le rôle de M. De Decker, qu'on dit aujourd'hui être intervenu dès 2010 auprès d'un procureur général, et de qui d'autre encore? Comment avoir la certitude que la séparation des pouvoirs a bien été respectée par toutes les parties? Comment être certain que personne n'a tenté de faciliter le traitement d'un dossier judiciaire? Comment expliquer que ce ne soit pas le Collège des procureurs généraux qui adopte une circulaire pour empêcher toute transaction avant l'adoption d'une loi réparatrice, alors que cela avait été annoncé au Sénat? Comment se fait-il qu'une circulaire du procureur général n'ait pas été respectée par l'avocat général?

 

Toutes ces questions troublent, selon la presse – et je constate qu'elle est bien informée à cet égard –, des poids lourds de votre parti, mais surtout abîment l'image de notre pays et interrogent le sens de l'éthique de certains hauts représentants de l'État, mais pas seulement. Des questions se posent aussi en termes de respect de la séparation des pouvoirs.

 

Dès lors, monsieur le premier ministre, comment allons-nous lever cette suspicion de confusion des pouvoirs?   

 

Pensez-vous, comme nous aujourd'hui, qu'une commission d'enquête s'impose pour lever les zones d'ombre et vérifier que le principe de la séparation des pouvoirs a bel et bien été respecté, pour vérifier qu'il n'y a pas eu trafic d'influence?

 

Monsieur le premier ministre, il est urgent de faire la lumière.

Réponse de Charles Michel

Monsieur le président, chers collègues, plusieurs l'ont mis en évidence et je veux, à mon tour, l'exprimer avec clarté: la séparation des pouvoirs est un principe essentiel pour garantir le caractère démocratique de nos institutions et, en ma qualité d e premier ministre, de chef du gouvernement, je veux réaffirmer à quel point nous devons, tous ensemble, être particulièrement attachés à ce principe.

 

Des questions ont été soulevées et je veux être clair en la matière. Je souhaite qu'absolument toute la lumière puisse être faite, sans qu'il y ait la moindre ambiguïté. Par conséquent, il va de soi –je l'affirme avec clarté également– que le gouvernement coopérera pour aider à ce que la lumière soit faite sur les faits qui ont été évoqués.

 

Dans ce contexte, je tiens à indiquer que le ministre de la Justice a déjà répondu à plusieurs questions en commission. Je ne reviendrai pas sur son évocation du parcours législatif des textes en question relatifs aux transactions pénales qui auraient été conclues à Bruxelles ou ailleurs à la suite des deux législations, en prenant en compte la période au cours de laquelle des interrogations avaient été soulevées.

 

Ensuite, précisément parce que je respecte la séparation des pouvoirs, je considère, monsieur Maingain, qu'il ne m'appartient pas, comme chef de gouvernement, de donner des instructions au parlement sur la manière d'exercer le contrôle démocratique. C'est le parlement qui est maître des instruments destinés à surveiller le gouvernement!

 

Nous sommes extrêmement clairs: nous coopérerons chaque fois avec les institutions qui demanderont au pouvoir exécutif de coopérer en vue de faire toute la lumière sur cette importante affaire.

 

Je conclurai d'un mot. Comme cela a été dit, la hauteur d'une démocratie, l'honneur d'une démocratie est de pouvoir travailler, dans certains cas, à garantir la transparence absolue, afin que la confiance des citoyens dans les institutions soit assurée. C'est dans cet esprit que le gouvernement travaillera.

Réplique d'Eric Massin

Monsieur le premier ministre, il ne faut pas se cacher derrière les réponses apportées par le ministre de la Justice. Si nous revenons aujourd'hui devant vous pour vous poser des questions, c'est justement parce que les réponses apportées en toute transparence par le ministre de la Justice ont suscité de nouvelles questions. La seule chose que nous disons, c'est qu'il faut organiser cette commission d'enquête.

 

Vous dites qu'il ne vous appartient pas de décider à la place du parlement, mais que vous allez collaborer, et le gouvernement aussi. En d'autres circonstances, vous avez dit que vous souhaitiez que le parlement se saisisse de la mise en place d'une commission d'enquête sur les attentats terroristes, et nous l'avons fait. Vous dites que vous collaborerez; cela signifie pour moi que vous soutenez la création d'une commission d'enquête. Vous avez raison, l'honneur d'une démocratie, c'est la transparence.

 

D'un autre côté, l'honneur de la politique est de pouvoir faire pièce à certains slogans. Il consiste à dire qu'hier, peut-être, ont régné une justice de riches, une justice de pauvres et une justice de classe. Mais nous sommes dans un pays démocratique. Nous ne travaillons pas comme cela. Il faut pouvoir le dire haut et fort. J'attends dès lors que votre parti réponde aux affirmations d'un poids lourd du MR: "Il faut régler le problème tout de suite. Je ne comprends pas que Charles Michel, qui est toujours hyper-prudent, n'agisse pas". Dès lors, j'espère que nous aurons cette commission d'enquête.