Question d'Eric Massin à Charles Michel, Premier ministre, sur les suites du dossier Caterpillar

Monsieur le président, monsieur le premier ministre, mes chers collègues, il y a un peu moins d'un an, lors de la rentrée gouvernementale du deuxième mardi d'octobre, vous nous affirmiez tel un mantra "Jobs! Jobs! Jobs!"

 

Aujourd'hui, c'est donc notre rentrée parlementaire et si on parlait d'un vendredi noir, il y a peu, pour Charleroi, c'est un véritable "septembre noir" auquel nous avons affaire: 2 200 emplois supprimés chez Caterpillar, 850 chez AXA, 300 chez P&V, 40 chez Eurostation, 274 chez Douwe-Egbert, un conseil d'entreprise chez ING, où on risque, à nouveau, d'annoncer des pertes d'emploi sans parler de la faillite de M&S Mode. Je le répète, c'est un véritable "septembre noir" pour l'emploi en Belgique.

 

À cet égard, il ne faudrait pas que l'indécence absolue de Caterpillar, la colère et l'émotion que ces drames provoquent, ont provoqués, fassent oublier que ces licenciements interviennent dans une atmosphère de mauvaise santé économique de notre pays.

 

Au-delà des décisions de ces multinationales, au-delà de la décision de Caterpillar, les politiques de droite que vous menez depuis deux ans ne relancent pas l'économie, ne relancent pas la croissance, ne relancent pas l'emploi. En la matière, il importe de se référer aux chiffres d'Eurostat, publiés il y a deux jours, lesquels révèlent que la Belgique est le véritable cancre de la classe européenne en ce qui concerne la croissance de l'emploi. Seuls deux pays européens nous talonnent: la Finlande et la Croatie. Vous m'excuserez, mais sur 28, c'est quand même catastrophique!

 

Dans ce contexte, monsieur le premier ministre, ce n'est pas de paroles guerrières dont nous avons besoin. Nous avons besoin d'actes!

 

Un de vos partenaires du gouvernement dit qu'il faut faciliter le licenciement de ceux qui défendent réellement les travailleurs dans l'entreprise (une proposition de loi est sur la table du parlement aujourd'hui et devrait être prise en considération). Le principal représentant d'un parti de votre gouvernement dit que Charleroi, c'est triste, mais que l'on ne reviendra pas sur la réforme des prépensions – alors que ce que nous demandons, c'est que le traitement qui a été appliqué à Genk soit appliqué à Charleroi. Un autre partenaire de votre gouvernement fait de la flexibilité sa rentrée politique.

 

Nous sommes inquiets. Les travailleurs ont peur. Ce n'est pas avec de la compassion ni avec de l'émotion que l'on créera de l'emploi, et que l'on accompagnera les drames sociaux que le pays vit aujourd'hui.

 

Monsieur le premier ministre, nous vous avons dit: c'est au pied du mur qu'on voit le maçon. Nous vous demandons donc des engagements. Je vous avais dit en commission: prenez des engagements envers les travailleurs. Cela n'a pas été fait, selon les déclarations des travailleurs.

 

Acceptez-vous que le système des prépensions fasse l'objet d'exceptions pour les travailleurs de Caterpillar, comme cela a été le cas pour Genk? Allez-vous soutenir, comme on vous l'a demandé, les propositions instaurant un droit d'information et d'alerte pour les travailleurs; les propositions renforçant la procédure Renault pour mieux protéger les travailleurs; les propositions interdisant les licenciements boursiers et permettant de récupérer les aides publiques; et enfin, les propositions permettant d'étendre aux travailleurs des sous-traitants les négociations de licenciements collectifs? Je vous remercie de votre attention.

Réponse de Charles Michel

Monsieur le président, chers collègues, voici quelques jours, nous avons eu un premier échange en commission, qui fut digne et approfondi, à la suite de cette intention dramatique qui a été annoncée de manière cruelle, brutale et totalement écœurante.

 

Pour le dire clairement, nous avons entrepris une démarche de riposte avec le gouvernement wallon pour tenter de voir quelle manière nous pouvons être aussi utiles que possible. Notre priorité absolue est de mener à bien une stratégie de reconversion industrielle du site.

 

Quelques jours après l'annonce de cette intention, il m'apparaît qu'il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs, mais travailler de manière ordonnée et avec méthode. Cela signifie qu'il convient, dans le cadre de la phase 1 de la loi Renault, que chacun connaît, de donner toute la capacité, y compris en termes d'expertise juridique, comptable et financière, aux organisations qui représentent les travailleurs de Caterpillar, mais aussi les sous-traitants, de recourir à ladite phase pour contraindre Caterpillar à être partie prenante d'une stratégie de reconversion. L'objectif est de limiter autant que possible les pertes d'emplois. Vous savez qu'une majorité de travailleurs de Caterpillar ont entre 35 et 45 ans. Nous avons en effet reçu des informations plus précises sur la pyramide des âges au sein de cette société. Il m'apparaît crucial d'offrir une perspective à l'ensemble des travailleurs qui sont soit directement soit indirectement - s'agissant des sous-traitants - affectés par ce drame.

 

Je tiens à vous apporter quelques éléments complémentaires. Ce lundi, nous avons tenu une réunion avec le gouvernement wallon et les syndicats. Nous avons formalisé cette idée de coordonner ensemble toutes les opérations aux côtés des travailleurs en misant sur une stratégie de reconversion. Nous allons analyser tous les moyens juridiques disponibles à cet égard. Au regard des principes de droit, nous devons déterminer comment nous pouvons, d'une manière offensive, pied à pied, contraindre Caterpillar à assumer pleinement ses responsabilités en termes de reconversion et au travers du plan social.

 

Monsieur Massin, lors de notre réunion avec les syndicats, ceux-ci ont parfaitement compris, contrairement à ce que vous affirmez, qu'il y avait une gestion du timing. S'agissant du plan social, qui ouvre des débats politiques légitimes, je rappelle que le précédent gouvernement a participé à de telles discussions au parlement au sujet de la prolongation de la condition d'âge pour accéder au RCC-SWT, qu'il a portée à cinquante-quatre ans. Le gouvernement actuel a allongé d'un an cette condition. Le moment venu, le gouvernement devra dialoguer avec les syndicats à propos des dispositifs sociaux, mais je ne veux pas donner aujourd'hui un élément de réponse qui faciliterait la vie de Caterpillar à ce sujet.

 

On est dans une négociation, pas encore dans la phase sociale. On est dans la phase 1 du plan Renault et nous irions déjà indiquer et mettre sur la table un allègement de la facture sociale pour Caterpillar. Ce serait une attitude absurde!

Nous avons déjà eu de nombreux débats relatifs à la stratégie économique dans le passé. Nous traversons en effet des moments difficiles. Il ne s'agit pas que de Caterpillar; d'autres exemples existent dans d'autres secteurs.

 

Nous avons résolument opté pour un allègement des charges sur le travail. Les résultats sont très positifs, puisque selon les chiffres du Bureau fédéral du Plan et de la Banque nationale de Belgique, 70 000 emploi s ont été créés depuis le mois d'octobre 2014.

 

Et oui, nous allons donc continuer courageusement à considérer que la création d'emplois est le cœur de notre projet politique pour garantir la protection sociale. Il y aura des moments difficiles, comme il y en a eu dans le passé aussi. Certains l'ont évoqué, avec ArcelorMittal, Ford Genk… Ce furent des moments douloureux, complexes, difficiles. Il y a deux manières de voir les choses: soit la résignation, l'abattement, le sentiment de fatalité dans un monde extrêmement injuste; soit la volonté de se retrousser les manches et d'agir avec les travailleurs, avec le gouvernement pour surmonter cet enjeu-là.

Il est essentiel de disposer d'un plus grand nombre d'industries en Europe. Notre pays a toujours insisté, de concert avec les entités fédérées, pour qu'un projet industriel soit  développé à l'échelon européen. Toutefois, la réalité institutionnelle est telle que certains grands pays continuent à défendre leurs propres intérêts économiques et qu'ils ne sont dès lors pas réellement demandeurs d'un tel projet.

 

Je continuerai, avec l'ensemble de mes collègues, à agir aussi sur le plan européen pour parfaire, améliorer et conforter une stratégie industrielle, qui est très déficiente pour l'instant. C'est dans ce sens que nous avons aussi souhaité lancer une stratégie des investissements en Belgique et en Europe pour tenter de compléter la stratégie pour l'emploi et la croissance et de se battre pied à pied pour faire en sorte d'être à la hauteur des défis auxquels nous sommes confrontés

Réplique d'Eric Massin

Monsieur le premier ministre, si aujourd'hui, je suis déçu de votre réponse, ce n'est ni dramatique ni grave. Le seul problème, c'est qu'il y a 2 200 travailleurs qui sont déçus de vos réponses! Vous semblez dire que les organisations syndicales ne tiennent pas, toutes, les mêmes propos. C'est simple, lisez la presse du lendemain! Tous l'ont annoncé! Tous l'ont dit: "Nous attendons des réponses du gouvernement fédéral! Nous devons avoir des engagements de la part du gouvernement fédéral par rapport au plan social!" Et aujourd'hui, il n'y a aucune réponse! Vous laissez 2 200 travailleurs plus les 4 000 sous-traitants sur le carreau! Pourtant, leur demande est légitime, à savoir faire une exception. Vous vous retranchez derrière cette soi-disant chose qu'il ne faut pas faire: faciliter la vie de Caterpillar. Vous les avez entendus, les Américains! Vous les avez entendus hier! Qu'ont-ils dit? "Nous ne reviendrons pas en arrière". C'est tout. Ces déclarations figurent dans la presse, monsieur le premier ministre.

 

Par ailleurs, vous parlez d'union sacrée. Le groupe PS vous a suggéré quatre propositions de loi qui permettent -pour aller dans le même sens que votre discours - de faire pièce à ces licenciements abusifs, qui sont odieux. Je n'ai aucune réponse en la matière. Si vraiment, vous voulez une union sacrée, faites preuve de volontarisme et marquez votre accord sur ces quatre propositions!