Question de Stéphane Crusnière à Didier Reynders, ministre des Affaires étrangères, sur la situation à Alep et Mossoul

Monsieur le président, monsieur le vice-premier ministre, Alep en Syrie et Mossoul en Irak, voilà deux noms de villes qui font couler beaucoup d'encre, mais aussi et malheureusement, beaucoup de sang depuis des mois.

 

Nous avons tous pris connaissance des déclarations russes, aujourd'hui démenties, concernant d'hypothétiques frappes belges qui auraient fait des victimes à Alep. Suite à ces déclarations, mon groupe a immédiatement demandé la réunion en urgence de la commission de suivi des opérations militaires à l'étranger pour clarifier cette situation. Je reste convaincu que c'est au sein de cette commission que toute la clarté sur ces frappes doit être faite.

 

Plus largement, derrière cette réalité militaire froide et la réelle politique, se cachent des civils, des victimes silencieuses, souvent malheureusement abandonnées par la communauté internationale. Pour mon groupe la lutte contre Daesh n'est pas une option, mais doit se faire dans le respect du droit international et dans une approche DDD, comme je l'ai déjà dit à plusieurs reprises à cette tribune. Aucune bombe à elle seule ne peut solutionner durablement une situation et venir en aide aux populations civiles prisonnières de la terreur djihadiste et des soutiens internationaux, notamment russe, au régime sanguinaire de Bachar el-Assad.

 

Monsieur le ministre, je voudrais profiter de l'occasion qui m'est donnée pour faire, avec vous, une évaluation de l'action belge dans la lutte contre Daesh. Pouvez-vous me dresser un bilan de l'action militaire, humanitaire et diplomatique de notre pays en Syrie et en Irak? Comment l'aide aux populations civiles s'organise-t-elle dans le cadre des offensives lancées contre Mossoul et de la trêve humanitaire décrétée par Moscou à Alep? Quel crédit peut-on accorder à cette trêve? La Belgique prend-elle de nouvelles initiatives dans ce cadre? Ne craignez-vous pas que l'on évolue vers un conflit gelé à terme, en Syrie, sans que la justice internationale ne puisse faire son travail? Comment prépare-t-on l'après Irak?

 

Enfin, suite aux déclarations russes concernant les frappes de notre aviation en Syrie, vous avez annoncé que vous aviez convoqué l'ambassadeur russe. Quel message allez-vous lui transmettre au nom de notre pays? Allez-vous dénoncer l'attitude contre-productive et dangereuse, y compris pour notre pays, de la Russie dans le bourbier syrien?

Réponse de Didier Reynders

Hier, le ministre de la Défense et moi-même avons formellement contesté les accusations portées par la Russie au sujet d’une prétendue frappe de la force aérienne belge contre le village d’Hassadjek la nuit du 17 au 18 octobre 2016. Il ressort des informations de la Défense qu’à ce moment-là, aucun avion belge n’était actif dans la province d’Alep. Par ailleurs, la Russie n’a fourni aucune preuve vérifiable de ce qu’elle avançait.

 

L’ambassadeur de Russie a été convoqué aujourd’hui par l’ambassadeur belge à la tête du service géographique, chargé de nos relations avec la Russie. Nous avons formulé notre contestation en présence des membres de mon cabinet et du cabinet de la Défense. Nous déplorons en outre que la Russie ne nous ait pas d’abord fait part de ses suppositions afin de les vérifier. Nous avons condamné fermement cette manière de procéder, qui résulte d’une intention claire de nous discréditer.

 

Nous continuons de nous défendre contre ces mensonges et demandons à la Russie de se rétracter.

 

L’entretien a duré une heure et s’est avéré décevant. Bien que l’ambassadeur ait affirmé que la

Russie était en mesure de contrôler les opérations aériennes menées au-dessus de l’ensemble du territoire syrien, aucune preuve n’a été fournie. De surcroît, l’ambassadeur a tenté de mettre à mal l’unité de la coalition contre Daech en accusant également d’autres partenaires. Il s’agit probablement d’une tentative de minimiser les dommages collatéraux provoqués par leurs propres bombardements.

 

J’adresserai un message officiel à M. Sergueï Lavrov, mon homologue russe.

 

Monsieur Crusnière, vous m'excuserez, vu le temps imparti, je ne vais pas refaire le rappel de toutes les actions que nous menons en Syrie ou en Irak sur les divers plans des trois D que vous avez rappelés. J'ai abordé hier avec mon collègue irakien la situation dans et autour de Mossoul. Je rappelle que nous sommes présents dans la coalition militaire; le ministre de la Défense en dira peut-être plus. Nous sommes également présents dans la volonté de reconstruire toutes les zones libérées. La Belgique participe déjà aux différents fonds en la matière. En fin, nous sommes présents dans le domaine humanitaire et dans la lutte contre l'impunité; vous le savez notamment à travers des contacts qui ont eu lieu au sein de ce parlement avec la communauté yézidie – je pense à Nadia Murad qui a été reçue et avec laquelle nous encore travaillé à New York en septembre.

 

Pour l'instant, sur Alep, l'Union européenne est très claire. En nommant précisément la Russie, elle a clairement demandé l'arrêt des bombardements. Depuis mardi, des informations circulent concernant un éventuel arrêt des bombardements. Dans ce cadre, la priorité est effectivement d'aller vers de l'aide humanitaire, puisque les infrastructures ont été lourdement frappées, notamment les hôpitaux, et il y a probablement eu des centaines de victimes.

 

Nous souhaitons vraiment que le cessez-le-feu soit étendu plus largement et qu'à travers lui, nous puissions non seulement intervenir humanitairement, mais aussi relancer des solutions politiques. Les contacts à Lausanne n'ont pas été concluants. Hier soir, à Berlin, des contacts ont eu lieu entre le président russe, M. Poutine, le président français, François Hollande, et la chancelière Merkel, pour accentuer la pression sur la Russie. Tous les moyens de pression ont été envisagés.

 

Je rappelle que la Belgique participe aux opérations militaires, humanitaires, aux travaux de reconstruction, à la lutte contre l'impunité, mais aussi, bien entendu et surtout, à la recherche d'une solution politique. Seule une solution politique mettra fin à ce type de conflit.

 

Pour le reste, je le répète, les contacts ont eu lieu avec l'ambassadeur russe; je transmettrai le même message à mon collègue Sergueï Lavrov. Ce matin, nous n'avons reçu aucune preuve – a fortiori, cela me paraît évident, elle était impossible à fournir – d'une intervention telle qu'annoncée par la Belgique, puisque le ministre de la Défense a eu l'occasion, sur base des éléments venant de son département de démontrer que nous n'étions pas présents autour ou au-dessus d'Alep à ce moment.

Réplique de Stéphane Crusnière

Messieurs les ministres, je vous remercie pour vos réponses. Pour faire toute la clarté sur  cette frappe, nous devons effectivement réunir la commission de Suivi des missions à l'étranger. Monsieur le président, le président de cette commission n'est pas là, mais vous avez le pouvoir de convoquer cette réunion et je vous demande de le faire le plus rapidement possible.

 

 

Nous sommes à un tournant dans ce conflit mais je rappelle que la paix ne se décrète pas, elle se construit. L'approche "à la Bush" ou la situation actuelle en Libye doivent aussi nous servir de leçon mais ce n'est pas une raison pour ne pas agir, toujours dans le respect du droit international.

 

 

 

L''impunité du régime de Assad ne pourra pas non plus être une option des diplomaties belge et européenne, vous l'avez dit monsieur le ministre. Dans tous les cas, les conséquences sur les civils et sur les réfugiés doivent aussi être intégrées dans l'action belge. Je plaide encore pour que la Belgique soit partie prenante à une solution globale et qu'elle prenne toutes les mesures en la matière.